Le patient, jouet du secteur pharmaceutique

Prenons un exemple concret : il y a peu, les patients souffrant d’un trouble bipolaire apprenaient que leur médicament n'était plus disponible, et ce pour une durée indéterminée. Ils ont alors dû passer à un équivalent non remboursé. Le fabricant, Essential Pharma, décide alors d’en tripler le prix. De plus en plus, les producteurs de médicaments abusent de leur position de monopole pour faire flamber leurs prix.
Nous avons demandé au SPF Economie d'examiner ce dossier, mais sans succès. Notre lettre à la ministre De Block est également jusqu'à présent restée sans réponse. Une douloureuse confirmation du manque de transparence de nos autorités.
Peu de profit sur des médicaments moins chers
Les positions monopolistiques apparaissent malheureusement de plus en plus souvent, de manière spontanée, dans le marché des "vieux" médicaments peu coûteux. Les médicaments à base de carbonate de lithium pour des patients souffrant de troubles bipolaires en sont un exemple. Un mois de traitement avec du Maniprex revenait en moyenne à 3,5 € pour le patient, et 13,3 € pour l’assurance maladie, soit un coût abordable. Une bonne chose, parce qu’il s’agit du traitement de premier choix pour cette maladie, que beaucoup de patients doivent prendre tout au long de leur vie. Mais, ces produits ne rapportent que peu d’argent. Ce type de médicaments semble très sensible aux ruptures de stock, lorsqu’ils ne sont pas tout simplement retirés du marché.
Début 2018, la société Kela Pharma a ainsi annoncé qu’elle ne pouvait plus fournir le Maniprex, à cause de problèmes de production. Pendant un certain temps, il n’était même pas sûr que Kela Pharma reprenne la production, ou ne le retire du marché. Une situation possible tant que le fabricant en informe à temps les autorités publiques. Mais le patient est abandonné. Et le redémarrage de la production ne semble pas être une priorité majeure. Kela Pharma a récemment encore reporté la date de disponibilité de six mois, jusqu’en octobre 2020.
Essential Pharma saisit sa chance
Cette rupture de stock a apporté de l’eau au moulin d’Essential Pharma, une entreprise qui a acheté des licences de médicaments moins chers au cours des dernières années, puis en a multiplié les prix, en Belgique et à l'étranger.
La firme a racheté Camcolit, une alternative à Maniprex à base de carbonate de lithium, actuellement le seul produit avec cette substance active disponible en
Belgique. Et, vous l’aurez deviné, son prix a récemment fortement augmenté. Depuis le début de cette année, le traitement avec du Camcolit coûte trois fois plus cher
qu’auparavant : en moyenne 25,1 € par mois à la place de 8,8 €. Et entièrement à la charge du patient, parce qu’il n’est pas remboursé chez nous.
Une démarche déjà effectuée par Essential Pharma dans notre pays avec le laxatif Norgalax, dont le prix est passé de 7 € à 45,71 €.
La position de monopole est préjudiciable
Dans notre pays, une entreprise ne peut appliquer une augmentation du prix d’un médicament qu’après une demande et une approbation du SPF Economie. Les
règles légales prévoient que la société doit expliquer l’augmentation de prix avec une "justification chiffrée précise des différents éléments du prix de revient
qui constituent le prix".
Toutefois, si on en croit la réaction du service de tarification du SPF Economie, les éléments qui représentent un coût pour l’entreprise et qui devraient justifier le prix exact doit rester secret. Dans le dossier Camcolit, le SPF Economie indique comme confidentiels les coûts qui ont été communiqués par Essential Pharma pour justifier son prix, le prix concret demandé par l’entreprise et l’avis de la Commission des Prix.
Nous avons demandé conseil à la Commission d'accès aux documents administratifs qui balaie les arguments en faveur du secret du SPF Economie. La balle est maintenant à nouveau dans le camp du SPF Economie. La lettre que nous avons écrite avec l'association Ups & Downs à la ministre de la Santé, Maggie De Block, dans laquelle nous lui demandions d’inciter la société Essential Pharma à rentrer un dossier de remboursement, est, elle, restée sans réponse.
Nous voulons plus de transparence
Il est grand temps de mettre fin aux avantages déséquilibrés dont bénéficie l'industrie pharmaceutique et de rendre transparente la fixation des prix des médicaments. Une bonne surveillance des prix est fondamentale, y compris pour les médicaments plus anciens. C’est la seule façon de garder les soins de santé abordables.
Curieux de savoir quelles mesures politiques nous proposons? Vous pouvez tout lire dans notre dossier Pour des médicaments à prix abordables.