La déferlante des stablecoins
Spéculer sur le stablecoin ?
Spéculer sur le stablecoin ?
Alors que le bitcoin et d’autres cryptomonnaies font à nouveau beaucoup parler d’eux en multipliant les records, une autre tendance majeure émerge : les stablecoins. Pour l’instant, elle implique surtout les institutionnels et moins les particuliers. De quoi s’agit-il ? Y-a-t-il moyen d’en profiter ?
Un stablecoin est un actif numérique émis sur une blockchain (une sorte de registre inviolable des transactions). Exactement comme le bitcoin. Mais à la différence de ce dernier, dont le prix est fixé au gré des transactions entre acheteurs et vendeurs (et qui s’est jusqu’ici montré très volatil), le stablecoin est adossé à un actif sous-jacent.
L’objectif du stablecoin est de refléter en permanence une parité exacte avec cet actif sous-jacent, qui est en général une devise. Autrement dit, un stablecoin USD (99% du marché actuel des stablecoins) fluctuera par rapport à l’euro exactement dans les mêmes proportions que le dollar lui-même. Contrairement au bitcoin, un stablecoin n’est donc pas un objet de spéculation.
A l’origine, en 2014, les stablecoins ont été créés pour faciliter la gestion des portefeuilles des détenteurs de cryptomonnaies. Lorsqu’un investisseur désire vendre une cryptomonnaie comme le bitcoin, les satblecoins lui permettent de « parquer » le produit de la vente tout en restant dans l’écosytème de la blockchain. L’investisseur reste ainsi prêt à réinvestir quand bon lui semble et sans aucun délai, en évitant de passer par une conversion plus coûteuse en monnaie classique et/ou en échappant au passage obligé par sa banque, avec tous les problèmes que cela peut induire (temps de transaction, blocage potentiel des opérations…).
Mais depuis, les stablecoins ont aussi trouvé un usage important dans les pays dont les devises sont en dépréciation continue et/ou qui souffrent du faible taux de bancarisation de leur population. Les stablecoins sont ainsi devenus très populaires dans des pays où le change fait l’objet d’un marché noir (souvent réprimé), avec des taux différents des taux officiels. Les stablecoins y sont devenus un système de paiement facile, bien plus approprié aux transactions quotidiennes que le très volatil bitcoin. Au Nigeria par exemple, les transactions en stablecoin USD se chiffrent déjà à plusieurs dizaines de milliards de dollars par an. L’usage des stablecoins est aujourd’hui concentré à plus de 50% dans les pays émergents, principalement en Afrique sub-saharienne et dans les pays en crise (Venezuela, Argentine, Liban…). Les stablecoins sont aussi très populaires dans le sud-est asiatique.
Il s'agit donc un crypto-actif qui répond à un vrai besoin dans le monde réel.
Dans les pays développés, le stablecoin pourrait révolutionner les moyens de paiement, en concurrençant les banques et les réseaux de paiement traditionnels. Car il a des atouts pour séduire les entreprises, les commerçants et les consommateurs : transactions instantanées, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, partout dans le monde; frais peu importants, paiements programmables (smart contracts)…. L’enjeu est de taille. Les acteurs de la finance traditionnelle l’ayant bien compris, ils ne veulent pas rester en marge. Depuis quelques mois, les annonces se multiplient : Visa a un projet pilote pour les entreprises; Mastercard a conclu un partenariat avec Circle (émetteur de stablecoins) pour faciliter les transactions en Europe de l’Est, au Moyen-Orient et en Afrique; un consortium de 9 grandes banques européennes (dont ING et KBC) lanceront au second semestre 2026 un stablecoin EUR…
Aujourd’hui, les émetteurs de stablecoins sont des entreprises privées créées pour cette seule activité. Tether avec son USDT et Circle avec son USDC représentent 81% du marché. Mais il existe déjà des centaines de stablecoins, dont certains émis par des banques (Société Générale, JP Morgan), voire des autorités publiques (l’État américain du Wyoming). Et demain, on pourrait imaginer qu’une société comme Amazon s’y lance également. Un stablecoin Amazon permettrait non seulement de diminuer les frais de transactions, mais aussi de mieux « enfermer » les clients dans l’écosystème du groupe. Le géant de l’e-commerce se présenterait alors comme une véritable fintech, disposant d’une vue détaillée des flux de transactions et de l’épargne de ses clients, et ainsi d’un outil précieux pour pousser leur consommation sur sa plateforme.
Dans l’environnement de taux actuel, l’émission de stablecoins s’avère très rentable. Chaque dollar détenu obligatoirement en réserve pour garantir à tout moment la valeur d’un stablecoin USD est investi dans des actifs sûr, comme des bons du Trésor américain.
Sur les 6 premiers mois de cette année, Tether (57% du marché) a engrangé un bénéfice de 5,7 milliards de dollars, avec moins de 200 employés ! En 2024, Tether est devenu le septième plus grand acheteur d'obligations du Trésor américain, dépassant même des pays comme le Canada et la Norvège.
Circle, le n°2 du marché de l'émission de stablecoins, est en perte cette année, mais devrait, dès 2026, être capable de générer plusieurs centaines de millions de dollars de bénéfices.
La présence de Trump au pouvoir a tout changé. En juillet 2025, sous l’impulsion de Trump, les États-Unis ont adopté un paquet législatif visant à faire du pays le centre mondial des crypto-actifs. Parmi les lois adoptées, le Genius Act a défini un cadre destiné à consolider la confiance dans les stablecoins. Il prévoit un audit externe pour contrôler l’état des réserves et s’assurer que, pour chaque stablecoin émis, l’émetteur possède bien le dollar correspondant. Et il stipule que c'est l’utilisateur final (le détenteur du stablecoin) qui détient la priorité absolue sur cette réserve en cas de problème chez l’émetteur.
Pour les USA, le stablecoin est une véritable arme économique. Le pays y voit une manière d'asseoir l'hégémonie du dollar américain dans le monde et même de capter une partie de l’épargne mondiale qui, in fine, échouera dans des bons du Trésor, ce qui pèsera sur les taux d'intérêt. Le secrétaire au Trésor, Scott Bessent, a estimé en juin dernier que, d'ici 2028, le montant des stablecoins USD existants pourrait dépasser les 2 000 milliards de dollars.
De son côté, l’Europe n’est pas en reste, mais contrairement aux USA, qui ont laissé se développer les initiatives avant de légiférer, la législation MiCA (ou MiCAR pour Markets in Crypto-Assets Regulation), déjà d’application depuis mi-2024 pour les stablecoins, offre un cadre harmonisant qui peut être perçu comme plus exigeant, ce qui a pu freiner certaines initiatives. Il existe certes quelques stablecoins en euro, mais les stablecoins les plus populaires sont tous américains.
Tous les connaisseurs de la cryptosphère se souviennent de la débâcle de l’UST (Terra-Luna) en mai 2022. Ce stablecoin USD, qui avait atteint une capitalisation de 60 milliards de dollars et se plaçait alors comme le troisième plus gros stablecoin derrière l’USDT et l’USDC, a vu sa parité imploser en quelque jours, jusqu’à perdre toute valeur. Mais ce stablecoin fonctionnait sans réserve en dollars réels, soit uniquement grâce à un mécanisme algorithmique de marché. Il a suffi d’une étincelle pour amorcer une crise de confiance et le plonger dans un cercle vicieux.
Désormais, le Genius Act et MiCA interdisent ce genre d’ingénierie financière pour les stablecoins utilisables comme moyen de paiement.
Quoi qu'il en soit, les stablecoins restent des actifs numériques… donc par définition piratables et détournables. En cas de fraude, les utilisateurs resteront très probablement les premières victimes.
Comme les stablecoins ne sont pas des « dépôts bancaires », en aucun cas vos avoirs en stablecoins sur une plateforme d’échange ne sont protégés par la garantie de 100 000 EUR sur les dépôts. De plus, les risques de contrepartie et de liquidité demeurent. Pour preuve, le krach éclair des cryptomonnaies du 10 octobre dernier. La menace par Trump de nouvelles taxes douanières à l’égard de la Chine a engendré une ruée vers la sortie. En quelques minutes, 400 milliards de dollars de capitalisation se sont envolés et la plupart des grosses plateformes d’échange ont été débordées, au point, parfois de ne plus être en mesure d’exécuter les ordres de vente. Simultanément, la panique a poussé certains investisseurs à se réfugier dans les stablecoins, ce qui a fait momentanément décrocher la parité de l’USDT et de l’USDC : ils ont été cotés très légèrement au dessus du dollar (moins de 1%). Rien de grave donc pour ces deux stablecoins. Mais l'évènement souligne qu'une certaine faiblesse structurelle du système persiste.
Certes, compte tenu des cadres réglementaires plus stricts, les stablecoins comme l’USDT et l’USDC peuvent sembler assez peu risqués.
Mais tenter d’en profiter l’est beaucoup moins !
Il s’agirait de percevoir des intérêts comme rémunération pour un dépôt, un peu comme s’il s’agissait d’un compte à terme ou d'un compte d’épargne.
Depuis le 30/12/2024, le règlement européen MiCA est applicable dans tous les États membres de l’Union européenne. La plupart des plateformes ont dès lors évacué de leur offre certains stablecoins (e.a l’USDT qui ne répond pas e.a à l’exigence d’avoir au moins 60% de ses réserves détenues dans des banques basées dans l'Union Européenne) et elles ont dû supprimer la possibilité de générer des intérêts directs sur les comptes en stablecoins. Pour les plateformes qui ne l'ont pas fait, cela pourrait n'être que temporaire.
Certains proposent une rémunération, parfois alléchante, pour que vous bloquiez vos stablecoins pour les mettre en prêt. Ceux-ci sont alors proposés sur des plateformes de finance décentralisées (DeFi). Vous ne savez pas qui les utilise ni quelle est leur solvabilité. En d’autres mots, vous prenez un risque réel de ne plus revoir vos stablecoins, mais sans pouvoir le mesurer. Et si la rémunération peut sembler intéressante (même après que des intermédiaires en aient retenu leur part), c’est que le risque est élevé, voire très élevé.
Notre recommandation est claire : à éviter.
Circle Internet Group A est l’émetteur depuis 2018 de l'USDC, le deuxième plus gros stablecoin au monde, disponible dans 185 pays, avec 76 milliards de dollars en circulation. Il répond aux exigences du MiCA et est coté en Bourse (Tether ne l’est pas).
Après l'introduction en Bourse en juin dernier, le cours a d'abord subi une envolée, puis a perdu de l’altitude. Car non seulement, le groupe pourrait souffrir d'une concurrence (rien ne garantit que ces prochaines années, l’USDC restera un des stablecoins les plus populaires). Mais de plus, les résultats du groupe dépendent aujourd’hui avant tout des intérêts récoltés sur ses réserves. Les résultats du 3e trimestre, qui seront publiés le 12/11, seront probablement bons. Mais si les taux baissent (ce qui sera vraisemblablement le cas), les revenus du groupe se retrouveront rapidement sous pression. Certes, à plus long terme le groupe pourrait bénéficier du développement de son système de paiements lancé au printemps dernier à destination des entreprises (qui peuvent l’intégrer à leurs services). Mais cela prendra beaucoup de temps, et la concurrence, y compris celles des réseaux déjà bien en place (Visa…), sera assurément rude.
Le cours vaut 95 fois le bénéfice par action estimé pour 2026 (1,50 USD) et plus de 25 fois la valeur comptable. C’est beaucoup trop, compte tenu de la faiblesse inhérente au business model et du risque de concurrence.
Vendez.
Les blockchains et les cryptomonnaies sont étroitement liées. Mais les applications des blockchains peuvent s'étendre à toutes sortes de cas très concrets d'utilisation : la gestion des chaînes d'approvisionnement, le vote…
Vu que les stablecoins circulent sur des blockchains, si les stablecoins se développent, ce sera bénéfique pour les blockchains.
Aujourd’hui, 70% des stablecoins circulent via le réseau Ethereum ou sur des réseaux secondaires dépendant de ce réseau. Et plus d'un tiers des commissions de transaction de ce réseau proviennent des échanges de stablecoins. Et si la blockchain Ethereum est utilisée pour la tokensisation de devises comme le dollar, c’est très loin d’être la seule application possible. La tokenisation consiste à convertir un actif en un token numérique (inscrit sur une blockchain), pour faciliter sa négociation (24 heures sur 24), sa transférabilité, sa traçabilité et sa fractionnalisation. Chaque token représente une part ou un droit sur l’actif sous-jacent. Ces actifs peuvent être des devises mais aussi des actions, des obligations, des ETF, des actifs du secteur immobilier, d'autres actifs non cotés… En dehors des devises, les autres initiatives actuelles restent embryonnaires, voire expérimentales. Et d'un point de vue juridique et financier, elles errent encore dans une zone mouvante.
Mais le marché potentiel est énorme. Le plus grand gestionnaire d’actifs au monde, l’américain Blackrock, y voit une opportunité énorme pour les dix prochaines années.
Et le Nasdaq, pressé par la demande, a soumis en septembre dernier un dossier à l'autorité financière américaine (la Securities and Exchange Commission ou SEC), pour obtenir l'autorisation de négocier des titres tokenisés sur ses marchés. Le tsunami est annoncé.
Pour miser sur la palteforme Ethereum, il faut miser sur l’Ether (1 ETH = 3 590 EUR), la cryptomonnaie native utilisée pour payer les frais de transaction, récompenser les validateurs et, infine, échanger de la valeur sur la blockchain. C'est un moyen de profiter du développment des stablecoins et, plus largement, de la tokenisation générale des actifs qui est ambitionnée. Plus le réseau est utilisé (transactions, stablecoins, DeFi, NFT, tokenisation…), plus la demande d’ETH pour payer les frais tend à augmenter.
Mais attention, l’ETH est, comme le bitcoin, un actif hyper volatile certainement pas destiné au bon père de famille. A court terme, son cours peut être influencé par nombre d’autres facteurs que le seul succès du réseau Ethereum.
Si vous vous y lancez, n’y consacrez qu’une petite part de votre portefeuille, à titre de diversification. Et gardez bien à l’esprit que, si Ethereum reste le réseau privilégié aujourd’hui pour sa sécurité et son aspect décentralisé, d’autres réseaux existent. L’USDC tourne aujourd’hui sur plus de 20 blockchains en parallèle et d’autres pourraient émerger… le marché est en constante évolution !
Si on peut potentiellement gagner vite beaucoup d’argent avec l’ETH, on risque d’en perdre aussi beaucoup.