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Fracture numérique : suis-je obligé de tout faire en ligne? Vos droits face au tout-digital

À l’heure où le numérique s’impose dans tous les aspects de notre quotidien — démarches administratives, accès à l’emploi, services bancaires, mobilité ou encore santé — une partie de la population reste en marge. Faute d’équipement, de connexion ou de compétences suffisantes, de nombreux citoyens risquent d’être exclus de services essentiels. Cette fracture numérique, loin d’être un simple retard technologique, constitue un véritable enjeu de société, avec des conséquences économiques, sociales et démocratiques majeures

Expertise:
Rédaction:
10 septembre 2025
fracture numérique

La fracture numérique : un enjeu de société

Qu’est-ce que la fracture numérique?

La fracture numérique désigne les inégalités en matière d’accès, d’usage et de maîtrise des technologies de l’information et de la communication (TIC), telles qu’Internet, les ordinateurs ou encore les outils numériques au sens large.

Elle peut se manifester à différents niveaux :

  • L'accès : les différences face à la possibilité matérielle de se connecter à Internet (qualité des infrastructures, disponibilité des équipements, couverture réseau).
  • Les compétences : les disparités dans la capacité à utiliser efficacement les outils numériques (niveau de formation, aisance technologique).
  • L'usage : les inégalités dans la fréquence et la nature des usages du numérique.

Ces inégalités peuvent être d’ordre géographique (entre zones rurales et urbaines), socio-économique (revenus, niveau d’éducation), générationnel (jeunes ou aînés) ou  encore culturel. Elles soulèvent des enjeux majeurs en matière d’inclusion sociale, d’éducation, d’accès à l’emploi ou encore de participation citoyenne.

Quels sont les risques pour les consommateurs?

La fracture numérique implique plusieurs risques majeurs pour les consommateurs, aux conséquences économiques, sociales, voire juridiques.

1. Exclusion sociale et économique

Les personnes touchées par la fracture numérique peuvent se retrouver exclues de nombreux services désormais accessibles uniquement ou principalement en ligne, tels que certaines démarches administratives, services bancaires, soins de santé ou encore l’éducation. 

Elles bénéficient également de moins d’opportunités économiques. Les offres d’emploi, formations ou encore certaines réductions commerciales sont souvent publiées ou réservées aux utilisateurs connectés. 

2. Désavantages financiers

L’absence d’accès ou de maîtrise du numérique peut aussi engendrer des coûts supplémentaires. Certaines offres sont en effet exclusivement disponibles en ligne, à l’instar de certains forfaits téléphoniques ou billets de transport. Les personnes touchées par la facture numérique bénéficient ainsi de tarifs moins avantageux. 

On peut notamment citer le cas de la SNCB qui applique une tarification moins favorable aux voyageurs sans smartphone. Les billets achetés au guichet ou à l’automate sont plus chers que ceux disponibles via l’application. Une politique que nous jugeons discriminatoire. Nous avons intenté une action en justice avec Unia dont  la première audience a eu lieu en février dernier. 

Par ailleurs, sans accès à Internet ou sans maîtrise des outils numériques, les consommateurs peinent à faire jouer la concurrence, ce qui peut les conduire à payer plus cher. 

3. Perte d’autonomie

La fracture numérique peut encore générer une forme de dépendance vis-à-vis de l’entourage.

Certaines personnes doivent ainsi s’en remettre à un proche lorsqu’il s’agit d’accomplir des tâches simples comme payer une facture, prendre un rendez-vous ou remplir un formulaire en ligne.

Cette forme de dépendance sociale peut alors impacter la dignité, la vie privée ou la liberté de choix des personnes concernées. 

4. Atteinte aux droits fondamentaux et vulnérabilité accrue

Non seulement, l’inégalité face au numérique peut limiter l’exercice de certains droits des consommateurs mais elle augmente aussi l’exposition aux arnaques.

D’une part, les personnes peu formées mais partiellement connectées sont souvent les plus exposées aux escroqueries en ligne, comme le phishing,  les fraudes ou encore l’usurpation d’identité. Sans réelles compétences numériques, il devient d’autant plus difficile d’accéder à des recours ou à des plateformes de réclamation en ligne. 

5. Obstacles à la citoyenneté numérique

Enfin, la fracture numérique limite la participation à la vie démocratique. Il parait en effet difficile de prendre part aux initiatives citoyennes lorsque certaines pétitions, consultations et autres débats publics sont souvent inaccessibles aux personnes non connectées.

Il en va de même concernant l’information : il apparaît plus difficile de se forger une opinion critique face à la publicité ou à la désinformation lorsque son accès à l’information est limité. 

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Numérique obligatoire : dans quels cas pouvez-vous dire non?

Le ticket de caisse digital est-il obligatoire?

Certains magasins ont franchi un cap en supprimant le ticket de caisse papier, remplacé par une version dématérialisée.

L’argument principal avancé est d’ordre écologique : réduire l’usage du papier, les émissions de gaz à effet de serre ou encore la consommation d’eau. D’autant plus que la durée de vie d’un ticket papier est généralement de quelques secondes.

Mais le ticket de caisse numérique est-il réellement plus respectueux de l’environnement ? Et, surtout, à quoi sert-il ?

Aussi surprenant que cela puisse paraître, le Code de droit économique ne prévoit pas d’obligation explicite de remise d’un ticket de caisse lors de l’achat d’un bien. Le consommateur doit cependant disposer d’une preuve d’achat, notamment dans le cadre de la garantie légale ou du droit de rétractation. Plus largement, il doit pouvoir prouver certains faits ou actes juridiques.

Le Code stipule en outre que toute clause visant à « limiter de manière non autorisée les moyens de preuve que le consommateur peut utiliser ou à lui imposer une charge de la preuve qui incombe normalement à une autre partie au contrat » est considérée comme abusive.

Le ticket de caisse digital n’est donc pas obligatoire. De notre côté, nous souhaitons préserver la liberté de choix du consommateur entre ticket papier et digital. 

Peut-on vous imposer un rendez-vous en ligne pour les démarches administratives?

De plus en plus de communes exigent une prise de rendez-vous pour certaines démarches, souvent via un formulaire en ligne. Cela permet une meilleure organisation, une réduction des files d’attente et un traitement plus fluide des demandes.

Cependant, aucune loi  n’impose la prise de rendez-vous en ligne pour accéder aux services communaux. Chaque commune reste libre de fixer ses propres règles : certaines exigent un rendez-vous pour obtenir une carte d’identité, un passeport ou faire modifier un acte de l’état civil ; d’autres maintiennent des plages sans rendez-vous.

Par exemple, à Schaerbeek, la commune recommande la prise de rendez-vous en ligne pour les cartes d’identité et les permis de conduire, tout en maintenant certaines plages horaires sans rendez-vous.

Conseils pratiques

  • Consultez le site web de votre commune pour vérifier si un rendez-vous en ligne est requis.
  • Si des plages sans rendez-vous existent, informez-vous sur les horaires et démarches concernées.
  • En cas de difficulté d’accès au numérique, contactez la commune par téléphone ou présentez-vous directement : un agent pourra généralement vous aider.

Services publics essentiels : la déclaration d’impôts, la mutuelle, etc.

La numérisation croissante des services administratifs s’accompagne d’un risque majeur : l’exclusion d’une partie de la population encore peu ou pas connectée au numérique. C’est ce que souligne une étude de l’AB-REOC, qui alerte sur l’absence de contact numérique avec l’e-gouvernement pour de nombreux citoyens — en particulier les groupes vulnérables (personnes âgées, en situation de handicap, précarisées ou peu alphabétisées numériquement).

Pour éviter que la digitalisation ne creuse davantage les inégalités, il est primordial que les autorités veillent à garantir une accessibilité universelle à leurs services.  Cela implique :

  • de maintenir plusieurs canaux de contact (numériques et non numériques);
  • de proposer une assistance humaine sur tous les canaux;
  • de concevoir les outils numériques en tenant compte de tous les publics, y compris ceux en situation de handicap;
  • et de respecter le principe du "opt-in" : un citoyen ne devrait passer au numérique que s’il le choisit expressément.
Concrètement, cela signifie que certains courriers importants, comme ceux liés aux pensions ou aux impôts, doivent d’abord être envoyés au format papier. Ce n’est qu’après que le citoyen peut choisir d’opter pour une communication exclusivement numérique, via des outils comme Tax-on-web. 

Enfin, il est fondamental que les autorités continuent à proposer, autant que possible, des alternatives hors ligne — sans quoi certains citoyens resteront irrémédiablement à l’écart.

1. Déclaration d’impôts 

Vous pouvez toujours choisir de remplir et d’envoyer une déclaration papier. Pour l’année 2025, la date limite était fix ée au 30 juin.

Si vous optez pour la version électronique (Tax-on-web), disponible via MyMinfin (avec itsme® ou eID), vous aviez  jusqu’au 15 juillet (ou jusqu’au 16 octobre en cas de revenus spécifiques).

En cas de problème technique (eID bloqué, itsme® inopérant…), plusieurs alternatives restent possibles :

  • Envoyer une déclaration papier.
  • Faire appel à un mandataire (proche ou comptable).
  • Contacter le service d’assistance téléphonique au 02/572 57 57.

2. eBox / MyGov.be & communication électronique

En activant votre eBox via MyMinfin, vous acceptez de recevoir automatiquement vos documents du SPF Finances sous format numérique. Si vous ne l’activez pas, les documents continuent à vous être envoyés par la poste.

Le nouveau MyGov.be fonctionne comme un portefeuille numérique de documents officiels (extrait d’acte, permis de conduire…) et comme un guichet en ligne pour interagir avec l’administration. L’application permet aussi de :

  • consulter ses données d’identité;
  • retrouver ses documents administratifs;
  • accéder à ses messages dans My eBox;
  • demander des attestations officielles.

Elle centralise les services de plusieurs administrations : Mobilité (permis, véhicule), Justice (état civil), Santé (carte ISI+, vaccination), Intérieur (identité)…

Malgré l’essor du numérique, le gouvernement continue à proposer des alternatives pour les personnes peu à l’aise avec les outils digitaux, comme les seniors ou les publics précarisés.

Voici les canaux toujours accessibles :

  • Déclarations papier (impôts, mutuelle, etc.).
  • Envois postaux des documents administratifs.
  • Accueil physique en commune ou dans un bureau des impôts (parfois sur rendez-vous).
  • Assistance téléphonique via des centres régionaux ou le numéro 02/572 57 57.
  • Recours à un mandataire (famille, ami, comptable).

De fait, la digitalisation apporte de nombreux avantages en termes de rapidité et d’efficacité. Toutefois, elle ne doit jamais remplacer totalement les moyens traditionnels tant que certains citoyens en ont besoin. Le maintien de solutions papier, postales, téléphoniques et physiques reste essentiel pour garantir l’inclusion numérique de toutes et tous.

La SNCB peut-elle vous faire payer plus cher au guichet?

Comme mentionné précédemment, la SNCB applique une politique tarifaire favorisant les achats via son application mobile, pénalisant ainsi les voyageurs sans smartphone. Face à cette discrimination tarifaire, Testachats et Unia ont saisi la justice. Nous décryptons cette affaire dans notre article dédié.   

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Numérique rime-t-il avec discriminations?

Des prix différents pour un même produit en ligne et en magasin : est-ce légal?

Les consommateurs touchés par la fracture numérique rencontrent des difficultés même dans leurs achats du quotidien. Les produits en ligne sont parfois moins chers qu’en magasin, et les achats physiques deviennent eux aussi de plus en plus hybrides avec l’apparition des tickets de caisse numériques et des cartes de fidélité dématérialisées.

Selon Statbel, 63 % des Belges de 16 à 74 ans ont effectué un achat en ligne en 2023, soit une hausse de 8 % par rapport à 2019. Les vêtements, les chaussures, les repas livrés et les abonnements de streaming sont les plus populaires. Pourtant, 14 % des Belges affirment ne pas avoir les compétences nécessaires pour acheter en ligne, un chiffre qui atteint encore 4 % chez les 16-24 ans.

La différence de prix entre les canaux de vente est légale. Un commerçant peut fixer des tarifs différents selon les canaux (site web ou magasin), en fonction de coûts logistiques, fiscaux ou concurrentiels. La seule obligation : que le prix soit clairement affiché, visible, lisible et comprenne tous les frais (TVA, autres taxes).

Peu d’études ont été menées en Belgique sur les écarts de prix entre en ligne et en magasin. Aux Pays-Bas, deux tiers des consommateurs en ligne estiment faire des économies en achetant via internet. Dans tous les cas, comparer les prix reste essentiel.

Autre frein pour les moins connectés : les cartes de fidélité sont souvent réservées aux détenteurs d’un smartphone, qui doivent en outre installer une application spécifique pour chaque enseigne. Pour Unia et OKRA, ces pratiques sont discriminantes envers ceux qui ne sont pas à l’aise avec le numérique.

En résumé, la fracture numérique se fait sentir aussi bien lors des achats en ligne que dans les magasins physiques. Entre les réductions réservées aux utilisateurs d’applis, les compétences requises pour acheter sur internet et les contraintes liées aux équipements, les consommateurs peu ou non connectés peuvent se retrouver désavantagés, voire exclus.

 Les personnes en situation de handicap sont-elles lésées?

La digitalisation croissante des services publics et privés entraîne souvent la disparition des guichets physiques. Si ces outils numériques peuvent faciliter la vie de certaines personnes en situation de handicap, ils peuvent aussi constituer un obstacle, notamment lorsque les sites web ne respectent pas les normes européennes d’accessibilité. Or, c’est encore le cas pour une grande majorité des plateformes en ligne des établissements publics.

Conséquence : les personnes en situation de handicap sont particulièrement exposées à la fracture numérique.

Pourtant, la loi est claire. Le refus d’aménagements raisonnables constitue une discrimination au regard de la législation anti-discrimination. La Constitution belge, dans son article 22ter, garantit à toute personne en situation de handicap une inclusion pleine et entière dans la société, incluant explicitement le droit à des aménagements raisonnables.

Ces aménagements visent à compenser un environnement inadapté. Ils ne constituent pas une inégalité de traitement, mais au contraire un moyen de garantir l’égalité réelle. Leur mise en place est une obligation qui incombe aux prestataires de services.

Sur le plan numérique, Unia s’est associée en 2024 à d’autres organisations de la société civile bruxelloise pour contester devant la Cour constitutionnelle un article controversé de l’ordonnance « Bruxelles Numérique ». L’article 13 permet en effet aux administrations de renoncer aux garanties minimales d’accessibilité, ou de les remplacer par des alternatives, en cas de charge jugée disproportionnée — sans pour autant définir clairement ce qu’implique cette notion. Une faille qui pourrait fragiliser encore davantage l’égalité d’accès au numérique.
 

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Quelles solutions pour un numérique plus inclusif?

Les recommandations de Testachats pour une société numérique équitable

Alors que la société se numérise à grande vitesse, un nombre important de personnes vulnérables risque d’être laissé de côté. Certaines ne disposent pas des compétences numériques nécessaires, d’autres n’ont même pas accès à Internet.

Nous voulons éviter que leur participation à la société ne devienne encore plus difficile. Une meilleure protection s’impose alors, notamment par le biais d’une réforme du tarif social pour les télécommunications et d’un soutien accru à la formation locale en compétences numériques et en inclusion. Le système éducatif devrait aussi accorder plus d’attention à la culture numérique et aux compétences digitales, dès l’école primaire.

Les personnes moins à l’aise avec les outils numériques passent souvent à côté d’informations et de services essentiels. Dans des secteurs comme l’administration, les banques, les assurances, les transports, la santé ou l’éducation, des alternatives non numériques suffisantes doivent donc continuer d’exister. Les services publics, en particulier, doivent rester accessibles physiquement et par téléphone.

Alors que la fracture numérique est aujourd’hui bien réelle, la numérisation s’accompagne de nouveaux défis. Pas moins de 46 % des Belges sont menacés d’exclusion numérique : 39 % parce qu’ils ont de faibles compétences numériques, et 7 % parce qu’ils n’utilisent jamais Internet. Il est donc crucial de se demander comment garantir à tous les consommateurs un accès équitable aux contrats et services innovants, notamment dans le secteur de l’énergie, sans creuser encore davantage l’écart entre les plus vulnérables et les autres. Le risque est double : non seulement certains ménages pourraient être laissés pour compte, mais ils pourraient aussi payer plus que nécessaire pour leur consommation d’énergie.

Les bonnes pratiques à encourager dans les services publics et privés

Pour réduire la fracture numérique, certaines mesures doivent être prises rapidement.

  • Il s’agit notamment de reconnaître l’accès à Internet comme un besoin fondamental, de considérer les équipements informatiques comme des biens essentiels (et donc insaisissables), et de prévoir des tarifs sociaux pour les abonnements télécoms. Il faut également soutenir largement les initiatives de terrain, en impliquant toutes les parties prenantes et en garantissant un accompagnement adapté à chacun. 
  • En matière de développement de services et de produits numériques, l’e-inclusion doit être placée au cœur de la phase de conception — et le rester lors des adaptations ultérieures.
  • Des groupes vulnérables, comme les personnes âgées, peu alphabétisées ou en situation de pauvreté, sont particulièrement à risque. Certaines pratiques, comme la suppression du ticket de caisse papier ou l’instauration de systèmes de consigne 100 % numériques, peuvent aggraver cette exclusion. Beaucoup de notices d’utilisation sont également disponibles exclusivement en version numérique, ce qui empêche le consommateur de se servir de son produit. Pour limiter ces impacts, il est essentiel de préserver des options non numériques, comme le paiement en espèces, l’accès à des supports papier ou des services physiques. L’objectif doit rester un numérique au service de tous, sans discrimination.
     
     
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Conclusion

Dans ce contexte, chaque consommateur doit pouvoir accéder à des services numériques équitables, compréhensibles et accessibles, quels que soient ses moyens, ses compétences ou sa situation.

Face à une numérisation croissante, nous appelons à la vigilance : la fracture numérique risque d’exclure les plus vulnérables et de les désavantager dans l’accès à l’énergie, aux services publics ou à l’information. Nous veillons ainsi à ce que le numérique reste au service de tous et nous plaidons pour une meilleure régulation, pour le maintien d’alternatives non numériques, pour des protections renforcées — comme un tarif social télécom élargi — et pour un accompagnement inclusif.  

 
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