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Pourquoi la résistance aux antifongiques progresse (et pourquoi c’est inquiétant)

À l'instar des bactéries qui peuvent devenir résistantes aux antibiotiques, les mycoses deviennent également résistantes aux antifongiques. Il s'agit d'une problématique de santé préoccupante et mondiale. Il existe en effet beaucoup moins de traitements disponibles, et donc d'options, que pour les antibiotiques.

Expertise:
Rédaction:
17 juin 2025
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Pourquoi les champignons développent-ils une résistance aux antifongiques?

Les infections fongiques chez l’homme augmentent de manière alarmante à l’échelle mondiale. Paradoxalement, cette hausse s’explique en partie par les progrès de la médecine qui augmentent le nombre de patients et de personnes âgées dont le système immunitaire est affaibli. En outre, de plus en plus de champignons développent une résistance aux antifongiques. Comme pour les bactéries, la résistance résulte généralement d’une adaptation génétique. L’utilisation excessive de fongicides dans l’agriculture contribue aussi à augmenter cette résistance. Il en résulte une résistance de champignons comme l’Aspergillus fumigatus, qui peut infecter l’homme.

Le nombre de classes d’antifongiques disponibles est limité par rapport au nombre de classes d’antibiotiques. Les champignons sont en effet plus proches de l’homme au niveau cellulaire, ce qui complique le développement de médicaments qui tuent le champignon sans provoquer d’effets secondaires graves. En fin d’année 2022, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a publié une liste des pathogènes fongiques prioritaires. Cette liste reprend les 19 espèces fongiques les plus importantes d’un point de vue médical.

On admet généralement que les champignons provoquent, au pire, des maux désagréables, en partie parce qu’il s’agit de maux courants. Mais les experts s’accordent à dire que les champignons constituent une menace pour la santé publique à l’échelle mondiale.

Est-ce que c'est grave, l'augmentation de la résistance aux antifongiques ?

Le problème de la résistance aux antifongiques est sérieux et croissant à l’échelle mondiale, ce qui en fait une menace sérieuse pour la santé publique. Comme la résistance bactérienne aux antibiotiques, la résistance aux antifongiques complique de plus en plus le traitement des infections fongiques. Certains champignons ne répondent plus à certains traitements antifongiques et les infections sont donc plus difficiles à traiter.

Les taux de résistance varient considérablement en fonction des espèces, des types de médicaments et de la localisation géographique.

Les dangers de la résistance aux antibiotiques

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Comment se développe la résistance aux antifongiques?

La résistance aux antifongiques se développe par le biais de différents mécanismes, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du corps.

Les adaptations génétiques ou les mutations de l’ADN des champignons jouent un rôle significatif. Ces mutations peuvent être spontanées et aléatoires. Un médicament qui était efficace peut ainsi devenir subitement inefficace. Certaines souches d’Aspergillus fumigatus résistantes aux azoles présentent un taux de mutation accru, ce qui les rend davantage susceptibles de développer rapidement une résistance aux nouveaux médicaments.

En plus des mutations génétiques, d’autres mécanismes peuvent contribuer à la résistance : activation des pompes d’efflux, formation de biofilms, changements dans les enzymes ciblées par les médicaments.

Développement de la résistance chez un patient

Un traitement prolongé ou répété d’infections fongiques au moyen d’antifongiques peut entraîner le développement d’une résistance. Ce risque est particulièrement élevé avec les azoles. L’utilisation prophylactique d’azoles chez les patients immunodéprimés peut aussi favoriser la résistance. De plus, un traitement prolongé peut entraîner la sélection d’espèces fongiques plus rares qui sont intrinsèquement résistantes ou acquièrent facilement une résistance.

Une résistance aux échinocandines peut aussi se développer lors d’une administration prolongée. La résistance aux champignons de la peau, comme le Trichophyton rubrum, est principalement attribuée à l’usage médicinal. Un processus similaire peut se produire avec d’autres champignons, comme le Candida albicans, durant un traitement azolé prolongé.

Concentrations sous-optimales d’antifongiques

Une exposition à un médicament pendant une période trop courte et/ou à une concentration trop faible pour éradiquer l’ensemble de la population microbienne offre aux cellules présentant une mutation de résistance la possibilité de survivre et de repeupler l’organisme.

La sélection de champignons moins sensible peut aussi se produire dans des endroits du corps où les antifongiques ont du mal à pénétrer et où les processus de dégradation et de transport mènent à de faibles concentrations.

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Un traitement prolongé ou répété au moyen d’antifongiques peut entraîner le développement d’une résistance.

Utilisation de fongicides en agriculture

C’est un élément crucial, en particulier pour le développement de la résistance aux azoles dans le cas de champignons comme l’Aspergillus fumigatus. Les azoles chimiquement apparentés sont utilisés à grande échelle en agriculture et pour la préservation du bois. L’exposition à ces produits conduit à la sélection de souches fongiques résistantes.

Une résistance croisée survient : la résistance aux fongicides agricoles entraîne aussi une résistance aux azoles médicaux utilisés pour traiter les infections fongiques chez l’homme. Il est important de signaler que l’interaction entre l’utilisation de fongicides en agriculture et l’utilisation médicale des antifongiques est l’un des principaux facteurs de l’aggravation de la problématique de la résistance.

Exposition environnementale aux spores fongiques résistantes

Les tas de déchets végétaux, comme on en trouve dans la culture de bulbes, et les tas de bois déchiqueté traité avec des antifongiques ont été identifiés comme des sources importantes de spores résistantes d’Aspergillus fumigatus.

Les personnes ayant un système immunitaire affaibli peuvent inhaler ces spores résistantes et contracter une infection. Si le rôle de l’environnement dans le développement de la résistance des espèces de Candida est moins clair, il semble que les azoles agricoles puissent aussi induire une résistance croisée aux azoles médicaux avec ces espèces. Des souches de Candida résistantes, y compris le Candida auris, sont également présentes dans les sols et les eaux de surface.

Résistance intrinsèque et multirésistance

Certaines espèces de champignons sont naturellement résistantes à certains antifongiques. Par exemple, le Candida glabrata est intrinsèquement résistant au fluconazole.

Les champignons peuvent devenir résistants simultanément à plusieurs classes d’antifongiques : c’est la multirésistance. Dans certains cas extrêmes, les champignons peuvent carrément développer une résistance à toutes les catégories disponibles d’antifongiques : c’est la pan-résistance. Par exemple, le Candida auris peut devenir résistant à toutes les classes cliniques d’antifongiques.

Propagation des souches résistantes

Les champignons résistants peuvent se propager rapidement par les spores dans l’air, sur ou dans des personnes et animaux qui se déplacent, et par le biais du commerce et du transport de bétail, de produits agricoles et d’autres marchandises. L’émergence et la propagation accélérée d’espèces multirésistantes, comme le Candida auris et le Trichophyton indotineae, soulignent ce point.

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Les conséquences de la résistance

Comme expliqué plus haut, le développement de la résistance fongique complique le traitement des infections. Les infections fongiques résistantes aux médicaments antifongiques deviennent nettement plus difficiles à traiter.

Les médicaments destinés à tuer les champignons ne sont plus efficaces, ce qui permet à l’infection de persister et – potentiellement – de s’aggraver. En raison des défis liés au traitement, les infections provoquées par des champignons résistants augmentent le risque de décès.

Par exemple, les patients atteints d’une infection à l’Aspergillus fumigatus résistante à l’azole présentent un risque de décès de 33 % supérieur par rapport aux patients dont l’infection peut être traitée. La résistance aux antimicrobiens rend les infections invasives plus souvent mortelles.

Le nombre de classes disponibles de médicaments antifongiques est très limité, comparé aux antibiotiques. Lorsqu’une résistance se développe à une classe de médicament, il n’y a bien souvent que peu ou pas d’alternatives efficaces. En cas de résistance à plusieurs classes d’antifongiques, ou à toutes les classes (multirésistance ou pan-résistance), les infections peuvent devenir pratiquement incurables. Le développement de la résistance cause l’émergence de champignons multirésistants, parfois appelés "superchampignons". Comme le Candida auris qui peut être résistant à toutes les classes disponibles d’antifongiques, ce qui le rend terriblement dangereux.

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Des traitements plus toxiques contre les infections fongiques

Lorsque des traitements antifongiques de première intention sont inefficaces à cause de la résistance, les professionnels de la santé doivent recourir aux médicaments de deuxième intention qui peuvent être plus toxiques, provoquer davantage d’effets secondaires, être plus difficiles à administrer (administration non plus orale mais par voie intraveineuse, par exemple) et être plus chers.

Par exemple, l’amphotéricine B, un traitement potentiel pour un Candida multirésistant, peut être toxique pour des patients déjà très malades. Le traitement d’infections fongiques résistantes peut être plus long et exiger un séjour prolongé à l’hôpital, augmentant ainsi les coûts de santé.

Des dangers pour la santé des patients

Le temps passé à trouver un traitement efficace à cause de la résistance peut aussi aggraver l’état du patient. Les personnes ayant un système immunitaire affaibli (atteintes de HIV par exemple), les patients atteints d’un cancer, les receveurs de greffe et les patients souffrant d’infections respiratoires aigües sont particulièrement exposés à une issue sévère, voire mortelle s’ils sont confrontés à une infection fongique résistante. Leurs défenses immunitaires affaiblies compliquent le traitement contre l’infection et la résistance complique encore davantage leur prise en charge.

L’augmentation de la résistance aux antifongiques menace de compromettre les progrès de la médecine, comme la transplantation d’organes et des thérapies agressives contre le cancer, qui misent souvent sur une prophylaxie et un traitement antifongique efficaces pour prévenir et gérer les infections fongiques opportunistes.

La hausse de la morbidité et de la mortalité associée aux infections fongiques résistantes, et la nécessité de prévoir des traitements plus coûteux et plus longs constituent un fardeau économique majeur pour les systèmes de santé et la société.

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Que puis-je faire en tant que patient pour lutter contre la résistance aux antifongiques

Les patients peuvent jouer un rôle en vue dans la lutte contre la résistance fongique.

Avant tout, ils doivent suivre scrupuleusement et respecter le plan de traitement prescrit pour les médicaments antifongiques. Il est essentiel que ces médicaments soient utilisés à la dose correcte et pendant toute la durée du traitement, même si les symptômes s’atténuent. Arrêter le traitement trop tôt peut provoquer un retour de l’infection et potentiellement favoriser le développement de la résistance.

Une automédication pour une suspicion d’infection fongique est à éviter. Bien que certains médicaments antifongiques soient disponibles sans prescription, il est important d’obtenir un diagnostic approprié et de suivre le traitement le plus adapté, particulièrement en cas d’infections récurrentes ou sévères. Une utilisation non adaptée de médicaments antifongiques peut contribuer au développement de la résistance.

Une bonne hygiène est importante. Si les infections fongiques résistantes sont plus fréquentes chez les personnes dont le système immunitaire est affaibli et dans les établissements de santé, une bonne hygiène corporelle peut aider à prévenir la propagation des infections en général. Par exemple, il faut se laver régulièrement les mains et éviter de partager des objets personnels.

La transparence vis-à-vis des prestataires de soins de santé concernant les infections fongiques précédentes et les traitements reçus est essentielle, particulièrement en cas d’infection résistante. Si le patient a été testé positif pour un champignon résistant précédemment, il est important que le personnel médical en soit informé avant de commencer un nouveau traitement. Etant donné que certaines infections fongiques sont plus courantes dans certaines régions du monde, les prestataires de soins de santé doivent également être mis au courant des éventuels antécédents de voyage pour faciliter le diagnostic.

Un diagnostic et un traitement précoces peuvent aider à prévenir des problèmes plus graves. Il est donc important d’être attentif aux symptômes d’une infection fongique et de chercher une aide médicale dans les plus brefs délais.

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Un diagnostic et un traitement précoces peuvent aider à prévenir des problèmes plus graves.

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Nos demandes et exigences en matière de résistance aux antifongiques

La lutte contre la résistance aux antifongiques exige une approche multifacette impliquant des efforts coordonnés dans différents secteurs. À l’image des stratégies mises en place pour combattre la résistance aux antibiotiques.

Réduire l’utilisation de fongicides dans l’agriculture

L’utilisation généralisée de fongicides azolés chimiquement apparentés dans l’agriculture est un facteur majeur de la résistance antifongique, en particulier la résistance aux azoles de l’Aspergillus fumigatus. Il est essentiel de réduire l’utilisation de ces fongicides. Cela pourrait passer par la promotion de stratégies de lutte intégrée contre les nuisibles. Des stratégies qui réduiraient le recours aux produits chimiques.

Mettre en place une réglementation stricte sur l’approbation et l’utilisation des fongicides

S’assurer que les nouveaux antifongiques destinés à un usage humain ne sont pas étroitement apparentés aux fongicides utilisés dans l’agriculture. Il y a un risque de développement de résistance croisée avant même que les nouveaux médicaments à usage humain ne soient largement utilisés. Exiger des fabricants de fongicides qu’ils démontrent que leurs produits n’auront pas de répercussion négative sur l’efficacité des antifongiques humains. Et enfin, envisager de restreindre l’utilisation de produits fongicides étroitement liés aux antifongiques médicaux pour prévenir la sélection de souches résistantes dans l’environnement.

Promouvoir une utilisation responsable des antifongiques en médecine humaine

Éviter l’utilisation excessive et prolongée de ces médicaments, particulièrement les azoles, car cela peut favoriser le développement de la résistance chez les patients infectés. Privilégier des pratiques de prescription judicieuses basées sur un diagnostic précis et des tests de sensibilité s’ils sont disponibles. Limiter la disponibilité des antifongiques en vente libre pour les infections superficielles car une utilisation non supervisée et incorrecte peut contribuer au développement de la résistance.

Renforcer la surveillance de la résistance fongique

Étendre les programmes de surveillance existants sur la résistance aux antimicrobiens pour inclure les champignons pathogènes. C’est déjà le cas pour l’Aspergillus fumigatus dans certains pays (dont la Belgique, via Sciensano) mais la procédure doit être élargie. Surveiller les profils de résistance dans les isolats cliniques provenant à la fois des patients et des échantillons prélevés dans l’environnement (sol, eau, matériel végétal, etc) pour mieux comprendre les sources et la propagation de la résistance.

Investir dans la recherche et le développement de nouveaux antifongiques et d’approches alternatives

Étant donné le nombre limité de classes d’antifongiques disponibles, la recherche de nouveaux médicaments aux mécanismes d’action novateurs est urgente. Cela inclut l’exploration de nouvelles cibles au sein des cellules fongiques et le développement de médicaments insensibles aux mécanismes de résistance existants. En outre, des approches thérapeutiques alternatives et complémentaires doivent être explorées. Cela implique la recherche sur le développement de vaccins contre les agents pathogènes fongiques, l’exploration du potentiel des immunothérapies pour renforcer la réponse immunitaire des patients face aux infections fongiques, et la recherche sur le rôle du microbiome dans les infections fongiques et les interventions potentielles ciblant le microbiote.

Adopter une approche One Health, "Une seule Santé"

Reconnaître l’interconnexion entre la santé humaine, animale et environnementale dans le contexte de la résistance aux antifongiques. La collaboration entre les professionnels de la santé humaine, les vétérinaires, les experts en agriculture et les scientifiques de l’environnement est essentielle pour développer des stratégies globales. La résistance aux antifongiques est un problème mondial. Une coopération internationale est nécessaire pour partager les données, coordonner les efforts de surveillance, et développer et mettre en œuvre des stratégies efficaces pour lutter contre la résistance.

Améliorer les capacités de diagnostic

Développer et mettre en œuvre des tests diagnostiques rapides et précis pour identifier les infections fongiques et déterminer la sensibilité aux antifongiques.

Renforcer la sensibilisation et l’éducation du public

Il est essentiel de sensibiliser les professionnels de la santé, les travailleurs agricoles, les décideurs politiques et le grand public à la menace de la résistance antifongique et à l’importance d’une utilisation responsable des antifongiques et des fongicides.

Mettre en place une gestion adéquate des déchets

Prévenir l’accumulation et la propagation des fongicides dans l’environnement par une élimination responsable et en évitant le recyclage des déchets contenant des fongicides dans les chaînes agricoles et alimentaires.

Comment se propagent les infections fongiques?

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