Pénuries de médicaments : causes, conséquences et solutions

Les pénuries de médicaments sont de plus en plus fréquentes. Quelles conséquences ces indisponibilités temporaires ont-elles sur les Belges ? Découvrez notre enquête sur les pénuries de médicaments en Belgique, les causes qui les expliquent, les mesures prises et les solutions proposées au problème.

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Régulièrement, les journaux font état de pénuries pour certains médicaments.
Cela a été le cas notamment avec les antibiotiques à base d’amoxicilline (prescris pour lutter contre de nombreuses infections bactérienne) ou le paracétamol, qui ont il n'y a pas si longtemps déserté, pour un temps, les rayons des pharmacies belges.
En juin 2024, l'entreprise pharmaceutique Lundbeck annonçait qu'elle mettait un terme à la livraison de deux médicaments essentiels en Belgique, à savoir le Nortrilen (nortriptyline) et le Redomex (amitriptyline), deux médicaments utilisés pour lutter contre la dépression. Cette annonce mettait dos au mur des dizaines de milliers de patients souffrant de lourds symptômes dépressifs et de douleurs chroniques. Depuis lors, la livraison de ces deux médicaments a heureusement repris.
Ce phénomène a tendance à s’empirer et affecte considérablement la qualité de vie de nombreux citoyens.
Vers le haut de la pageLes Belges sont-ils souvent confrontés à des pénuries de médicaments?
Début 2024, nous avons menée une enquête auprès d'environ 1 000 consommateurs, âgés de 25 à 74 ans, et représentatifs en matière de sexe, Région et niveau d'éducation.
Il ressort de cette enquête que pas moins de 41 % des familles de notre pays ont ainsi été confrontées à une pénurie au cours des cinq dernières années. Le phénomène semble s'aggraver, puisque lors de notre enquête de 2021, 32 % des familles avaient été confrontées à une pénurie de médicaments lors des cinq années précédentes.
Pour la période allant de janvier 2023 à janvier 2024, ce sont 33 % des ménages qui ont dû faire face à une pénurie.
Dans 92 % des cas, la pénurie concernait des médicaments sur ordonnance.
Vers le haut de la pageQuels médicaments sont en pénurie?
En ce qui concerne les médicaments en pénurie l'année dernière (janvier 2023-janvier 2024), trois catégories principales ressortent du lot auprès des personnes sondées :
- Médicaments pour le système nerveux central (antidépresseurs, anxiolytiques, médicaments contre la démence, etc.)
- Médicaments pour le système cardiovasculaire ou des maladies sanguines (médicaments contre l'hypertension, anticoagulants, diurétiques, etc.)
- Médicaments anti-infectieux (antibiotiques, antiviraux, etc.)
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Quelles sont les causes des pénuries de médicaments?
Les raisons principalement données aux répondants pour justifier les pénuries sont :
- une forte demande ;
- une pénurie d'une substance active ;
- des problèmes de production.
Fait assez interpellant : un quart des consommateurs confrontés à une pénurie de médicament en ignore la raison.
Quelles sont les solutions trouvées par les consommateurs pour faire face à une pénurie ?
Tout le monde n'adopte pas la même tactique face à la pénurie d'un médicament. Ainsi, 41 % des répondants ont attendu que le médicament soit à nouveau disponible dans la même pharmacie. Dans ce groupe, 58 % précisent qu'ils ont dû attendre quatre jours ou plus.
Deux Belges sur dix confrontés à une pénurie de médicaments l'année dernière ont préféré se procurer un autre médicament qui contenait le même principe actif que le médicament originellement recherché.
Moins de 2 % des répondants disent ne pas avoir trouvé d'alternative.
Vers le haut de la pageQuelles sont les conséquences pour les patients des pénuries de médicaments?
Au final, ces pénuries ont-elles des conséquences concrètes pour les patients ? Les Belges concernés sont divisés à ce sujet puisque :
- 48 % précisent n'avoir fait face à aucune conséquence.
- 52 % affirment que la pénurie a eu des conséquences concrètes.
Les conséquences des pénuries sur la santé des consommateurs
Les pénuries peuvent avoir des conséquences sur la santé des patients qui y sont confrontés. Ils font notamment part :
- d'anxiété/d'inquiétudes liées à l'impossibilité de trouver un médicament (47 %) ;
- d'une aggravation des symptômes/de l'affection pour laquelle le médicament est nécessaire (35 %) ;
- d'une absence professionnelle temporaire pour cause de maladie (21 %)
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Globalement, 14 % des personnes confrontées à des pénuries de médicaments rapportent des conséquences (très) lourdes sur leur santé. Pour les personnes qui souffrent (ou dont un membre du ménage souffre) d'une maladie chronique, le taux est légèrement plus élevé (16 %).
Cela peut paraitre surprenant, mais c'est principalement chez les 25-39 ans que les conséquences sont les plus importantes :
- 20 % signalent des conséquences (très) lourdes sur leur santé.
- 31 % signalent des conséquences (très) lourdes sur leur qualité de vie en général.
Les tranches d'âge supérieures semblaient moins affectées.
Les conséquences financières pour les patients
Les pénuries de médicaments peuvent évidemment avoir des conséquences financières pour les consommateurs. Elles peuvent être de diverses natures :
Vers le haut de la pageConclusions des consommateurs sur les pénuries de médicaments
Face à la hausse des cas de pénuries de médicaments, nous avons demandé l'avis des Belges sur le contrôle des pouvoirs publics, l'information reçue ou encore sur les règles en vigueur.
Sans surprise, 89 % des répondants estiment que les pénuries de médicaments ne devraient pas entrainer de coûts supplémentaires pour les consommateurs. Une grande majorité (65 %) est également d'accord pour dire que les entreprises pharmaceutiques sont davantage préoccupées par leurs profits que par les besoins des patients.
Plus d'un consommateur sur deux (53 %) souhaiterait pouvoir signaler lui-même les pénuries aux autorités compétentes.
Quant à la qualité des informations reçues lors d'une pénurie, les avis divergent. Si 35 % estiment qu'elles sont adéquates, 38 % ont un avis neutre sur la question et 27 % les jugent inadéquates.
Enfin, les réponses sont quasiment similaires en ce qui concernent les règles et actions concrètes des autorités.
Ainsi, 29 % estiment que la législation actuelle est suffisante pour éviter les pénuries de médicaments, 32 % n'ont pas d'avis sur la question, et 39 % ne sont pas d'accord.
De même, 28 % estiment que les autorités nationales en font assez pour assurer un approvisionnement suffisant du marché en médicaments, 30 % n'ont pas d'avis et 42 % ne sont pas d'accord.
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Pour comprendre le problème des pénuries de médicaments, il importe avant tout d’en identifier les causes. On peut en citer deux types : les indisponibilités – soi-disant – réelles et les problèmes de distribution, surtout liés à la pratique du “contingentement”.
Les indisponibilités réelles
Il s'agit de pénuries dues, par exemple, à un problème de production ou de transport, qui concernent le plus souvent des génériques ou d'anciens médicaments dont le brevet a expiré. On peut les retrouver sur Pharmastatut, une application de l'Agence fédérale des médicaments et des produits de santé (AFMPS) qui offre un aperçu des indisponibilités signalées par les firmes.
Les entreprises pharmaceutiques restant plutôt avares en informations, les causes sous-jacentes de ce phénomène ne sont pas claires. D’après les données disponibles, il serait lié :
- en majorité à de problèmes de qualité ou de production ;
- ensuite à de raisons commerciales ;
- et enfin à une augmentation inattendue de la demande ou à des soucis de distribution.
Concernant les problèmes de qualités et de production, ils sont généralement liés – comme souvent – à des questions d’argent. Les firmes pharmaceutiques essaient en effet de réduire les coûts par tous les moyens, notamment en rationnalisant la production et les stocks, et en délocalisant certaines étapes à l’étranger, où les salaires sont moins élevés.
Le contingentement des médicaments
Les médicaments contingentés sont généralement des nouveaux produits pour lesquels les firmes pharmaceutiques contrôlent la livraison aux grossistes sur base de quotas. Leur objectif est ainsi d’éviter que certains d’entre eux n’exportent ces produits à l’étranger, où ils peuvent les vendre à un prix plus élevé. Il n’existe actuellement aucun chiffre fiable sur ce phénomène.
Les solutions proposées actuellement visent surtout les indisponibilités dites "réelles", sans trop s’attaquer au contingentement. Passons en revue les pistes envisagées.
Découvrez plus d’explications sur les causes des pénuries de médicaments
En théorie, tant les firmes pharmaceutiques que les grossistes ont l’obligation légale d’approvisionner le marché en médicaments de manière continue. Dans la pratique, les autorités ont manifestement beaucoup de mal à faire respecter cette règle.
Ces dernières années, les décideurs semblent avoir pris conscience de l’ampleur du problème. Ils ont entrepris certaines actions ces dernières années, mais il est absolument nécessaire d’aller plus loin. C’est pourquoi les instances nationales et européennes sont en train de se pencher sur le sujet.
Les mesures sur la table auront-elles un impact concret sur la vie des nombreux patients belges qui sont régulièrement confrontés à des ruptures de stocks pour leur traitement ? Nous faisons le point avec vous.
En Belgique
Lors de l'été 2022, le ministre de la Santé Frank Vandenbroucke a chargé l’AFMPS (Agence fédérale des médicaments et des produits de santé) d’élaborer un plan pour anticiper, gérer et prévenir les indisponibilités. Son objectif était d’en concrétiser les points prioritaires sous sa législature.
Au niveau européen
- Une adaptation de la règlementation en matière de pénurie de médicaments a été proposée par la Commission européenne en avril 2023. Entre-temps, les discussions au Parlement européen sont terminées, mais le Conseil travaille toujours sur le sujet. Les trois organes concernés doivent encore par la suite parvenir à un accord. Un texte final est attendu pour le milieu ou la fin de l'année 2025. Mais il faudra certainement encore quelques années avant que les nouvelles mesures n'entrent en application.
- Depuis le printemps 2023, plus de 20 États membres – dont la Belgique – ont décidé de ne pas attendre l’adoption de la législation européenne pour agir, et de collaborer dès maintenant pour négocier un certain nombre d'actions qu'ils souhaitent entreprendre ensemble. Les propositions ont été adoptées par la Commission européenne à l'automne 2023.
En Belgique, l’un des points d’action prioritaires est de faire en sorte que les pénuries n’entrainent pas de surcoût pour les patients.
En effet, en cas de rupture de stock, nombre d’entre eux sont obligés de se tourner vers des alternatives plus chères ou de demander à leur pharmacien de se procurer leur traitement à l’étranger. Dans ce dernier cas, non seulement ils ne peuvent pas profiter d’un remboursement mais en plus, ils doivent parfois s’acquitter de frais de transport supplémentaires.
L’objectif de la mesure envisagée est de faire payer ce surcoût par les firmes au lieu de l’imposer aux citoyens ou à la société dans son ensemble.
De nouvelles règles à partir de janvier 2025
Après des longues et difficiles discussions, l'arrêté royal "Compensation" a été publié au Moniteur belge en juin 2024. Les nouvelles règles qu'il implique entreront en application au 1er janvier 2025.
Ainsi, si un pharmacien doit commander à l'étranger un médicament "essentiel" remboursable pour un patient parce qu'il n'est pas disponible en Belgique, il sera remboursé par l'INAMI, ce qui n'était pas le cas jusqu'ici.
Les entreprises et les négociants parallèles compenseront ce coût supplémentaire par une "redevance d'indisponibilité" annuelle qu'ils devront payer aux pouvoirs publics s'ils commercialisent des médicaments remboursés dans notre pays.
Notre avis
Si nous saluons cette mesure, nous regrettons qu'elle ne s'applique qu'aux médicaments "essentiels" remboursables. Nous sommes d’avis qu’il faudrait l’étendre à tous les médicaments prescrits remboursables.
D’après une récente analyse du cabinet de conseil Technopolis, tous les pays ne sont pas affectés de manière équivalente par les pénuries de médicaments. Des facteurs nationaux – tels que la politique de prix – font que certains États sont prioritaires dans l’approvisionnement et bénéficient de livraisons plus importantes que d’autres. Il est donc pertinent de faciliter la mise en place de solutions internationales.
- En Belgique : L’une des mesures vise à favoriser les importations à plus grande échelle de médicaments en rupture de stock. Actuellement, les pharmaciens sont autorisés à commander à l’étranger pour certaines pénuries, mais ils doivent le faire au coup par coup, ce qui manque clairement d’efficacité. En cas d’indisponibilité généralisée dans notre pays, le but est ici de se coordonner pour importer de plus gros volumes afin de gagner en rapidité et de réduire les frais administratifs.
- Au niveau européen : L’ambition est également de créer plus de coordination internationale et de surveiller ensemble les pénuries de médicaments dits "essentiels". Il existe ainsi depuis peu un groupe de pilotage européen sur les pénuries, le MSSG (pour Medicine Shortage Steering Group), qui pourra faire des recommandations à la Commission en vue de mieux gérer les indisponibilités et d’en limiter les répercussions.
Par ailleurs, il existe également un mécanisme volontaire entre les États membres pour s'entraider et partager les approvisionnements en cas de pénurie de médicaments clés. Jusqu'à présent, ce mécanisme n'a été appliqué avec succès qu'une seule fois.
Notre avis
La mesure belge concernant les importations à plus grande échelle permettra de trouver plus rapidement des solutions pour les patients et de faire des économies d’échelle, ce serait donc une bonne chose.
Cependant, on ne sait pas très bien dans quels cas ces importations seront possibles. Pour autant que nous puissions en juger, il s'agit plutôt d'une option exceptionnelle, ce qui signifie qu'en pratique, peu de choses changeront en fin de compte.
Pour ce qui est des plans d’action européens pour plus de coordination, nous pensons opportun d’adopter des mesures plus strictes concernant certains produits, mais beaucoup dépend des critères sur base desquels un médicament sera considéré comme essentiel. On peut aussi se poser la question de l’applicabilité de plusieurs des propositions évoquées : comment les autorités comptent-elles s’y prendre pour obliger les firmes à respecter ces nouvelles règlementations ?
Nous estimons également qu’il serait intéressant de se pencher sur les mécanismes qui font que les pénuries affectent plus certains pays que d’autres, afin de pouvoir ajuster les mesures en fonction de ceux-ci.
Depuis des années, les grossistes et les firmes pharmaceutiques se rejettent la responsabilité de certaines pénuries - notamment de médicaments récents et coûteux concernés par le contingentement - auxquelles sont confrontés les patients.
Les premiers avancent que les livraisons des firmes ne suffisent pas à couvrir la demande, et les secondes affirment que le souci vient des grossistes, qui redirigent une partie des stocks vers l’étranger, où ils peuvent vendre les produits plus chers. Dans ces conditions, les autorités ne savent pas à qui faire porter la responsabilité et ont du mal à appliquer les sanctions prévues en cas de non-respect de l’obligation d’alimenter le marché en continu.
Plus de transparence de la part des grossistes depuis 2022
En 2020 déjà, plusieurs mesures ont été annoncées pour essayer de mieux cerner le problème et de déterminer les responsabilités.
Depuis 2022, un Arrêté royal est enfin entré en vigueur pour exiger plus de transparence de la part des grossistes afin d’obtenir une vision plus claire des volumes nécessaires pour rencontrer les besoins de la population. Ceux-ci doivent désormais communiquer, chaque mois, les quantités de médicaments reçues des firmes pharmaceutiques, ainsi que leur destination. Les grossistes ne sont d'ailleurs pas autorisés à exporter tous les médicaments.
Depuis le début de l'année 2023, ils doivent demander l'autorisation de l'AFMPS s'il s'agit d'un médicament important pour lequel il existe un problème d'approvisionnement dans notre pays. Cette restriction à l'exportation est somme toute assez exceptionnelle et concerne une liste restreinte de médicaments comme l'Ozempic.
Notre avis
La transparence est effectivement essentielle afin de pouvoir déterminer les responsabilités, mais comme on ne demande pas d’informations aux firmes pharmaceutiques, le tableau est malheureusement incomplet. Les firmes continuent également à contingenter leur approvisionnement en certains médicaments.
Ainsi, compte tenu du manque de précision des données disponibles, les analyses de l'AFMPS ne fournissent pas suffisamment d'informations utiles pour mieux comprendre la situation. Seule une plus grande transparence peut mettre fin au débat "oui-non" entre firmes et grossistes.
Plusieurs mesures belges et européennes s’appliqueraient uniquement à une sélection de médicaments considérés comme essentiels ou critiques.
Première version d'une liste des substances actives
Fin 2023, l'Europe a rédigé une première version d'une liste reprenant environ 200 substances actives. L'objectif en 2024 sera d'évaluer cette liste et de l'élargir. Une telle liste n'a pas encore été établie en Belgique.
Notre avis
Nous pouvons comprendre que l'UE – tout comme la Belgique – prévoie des mesures plus strictes pour les médicaments dits critiques mais nous nous inquiétons de l’impact limité que pourraient avoir certaines propositions si elles ne concernent qu’une sélection restreinte de produits. Qu’en est-il de la qualité de vie de tous les autres patients qui, comme l’a révélé notre étude, souffrent des effets négatifs des pénuries et des changements de traitement qu’elles engendrent ?
Enfin, nous craignons que l’existence de ces listes (belge et européenne) pourrait donner l’impression aux firmes pharmaceutiques et aux grossistes qu’ils ont « carte blanche » pour les produits qui en sont exclus, et qu’ils peuvent se permettre de négliger leur approvisionnement.
De nombreuses propositions ont pour objectif de récolter davantage de données auprès des différents acteurs afin de mieux connaître les dynamiques de marché, les flux d’approvisionnement et l’état des stocks.
Mise en place d'outils pour suivre l'évolution des stocks
En Belgique, l’AFMPS a lancé à l'automne 2023 un projet pilote de surveillance d’une sélection d'une dizaine de médicaments critiques sur 12 mois. S’il est évalué positivement, l’outil pourrait être mis en œuvre plus largement.
Au niveau européen, la possibilité de contrôler les stocks de certains médicaments dans des situations telles que la crise du Covid-19 ou les pénuries d'antibiotiques est prévue pour tenter de mieux prévenir les pénuries. On ne sait pas encore si et comment cette possibilité de demander des données sur les stocks sera étendue par les règles de l'UE en cours de négociation.
Mais la surveillance des stocks implique aussi une meilleure anticipation des indisponibilités de ces médicaments. Afin de mieux prévoir et gérer les ruptures de stock, une proposition européenne entend donc obliger les firmes à signaler plus tôt l’arrêt de la commercialisation d’un médicament et les problèmes d’approvisionnement.
Notre avis
La réduction des délais de signalement, si elle est bel et bien mise en place, permettra d’avoir un coup d’avance pour mieux gérer les ruptures de stocks prévisibles, mais qu’en est-il de celles qui surviennent sans signes annonciateurs ?
La récolte d’informations fiables est cruciale pour cerner le problème des pénuries de médicaments – qu’elles soient prévisibles ou imprévisibles – et déterminer où et comment intervenir. Bien évidemment, pour que cela ait un réel impact pour les consommateurs, il s’agira de parvenir à transformer en actions concrètes les connaissances ainsi acquises.
Si des mesures visant à améliorer le suivi des stocks étaient effectivement mises en œuvre, elles se limiteraient très probablement à une sélection de médicaments essentiels, ce qui en réduirait l'effet.
Au niveau européen, la volonté est de tendre vers plus de prévention, en impliquant davantage les firmes pharmaceutiques, mais aussi en essayant d’être plus autonome en matière de production. Parmi les mesures actuellement discutées, on peut citer :
6.1 Les transferts de licence
Si elle décide d’arrêter la commercialisation d’un médicament critique, une firme aurait l’obligation de faciliter le transfert de licence vers une autre firme qui se serait montré intéressée.
L’avis de Testachats
Il s’agit là d’une demande de longue date de Testachats : nous nous en réjouissons donc, même si nous aurions préféré que la mesure soit étendue à tous les médicaments. Mais quelles sont les options si un médicament ne suscite pas d'intérêt commercial ? Pourquoi la solution de la production publique n'est-elle pas explorée ?
6.2 Les plans de prévention
Les firmes seraient contraintes d’adopter des plans de prévention contenant, pour tous leurs médicaments : les alternatives disponibles sur le marché, les vulnérabilités de la chaine d’approvisionnement, les risques de pénuries, des informations sur la stratégie de gestion des risques, etc.
L’avis de Testachats
Les plans de prévention font également partie depuis longtemps des demandes de Testachats. L’adoption de cette mesure serait une avancée importante en matière de prévention : elle agit bien plus en amont que les autres propositions. Cependant, elle ne va pas assez loin à nos yeux.
- Les firmes devraient être obligées de transmettre ces plans aux autorités pour que celles-ci puissent s’assurer qu’il en existe bien pour tous les médicaments et vérifier la pertinence de leur contenu.
- La proposition actuelle n’exige pas clairement des éléments qui nous semblent importants, comme la preuve de l’existence de systèmes adéquats de gestion de la qualité ou des informations sur les méthodes permettant de déterminer la demande du marché et sur les techniques de gestion des stocks.
- Il manque l’obligation pour les firmes de conserver des stocks suffisants afin de pouvoir gérer les problèmes à courts termes et d’avoir le temps de se retourner dans le cas où une crise est amenée à durer.
- De plus, dans les négociations en cours, le Conseil voudrait limiter les plans de prévention obligatoires aux médicaments dits critiques, en se basant sur l'idée qu'une obligation générale créerait une charge administrative trop importante. Nous avons des objections fondamentales à une telle limitation. Les entreprises sont légalement tenues d'approvisionner continuellement le marché et la préparation d'un plan de prévention est essentielle pour une bonne gestion d'entreprise. L'élaboration obligatoire d'un plan de prévention pour tous les médicaments serait un outil utile pour mieux garantir que les entreprises respectent leur obligation légale.
6.3 L’accroissement de l’autonomie
L’alliance des États membres souhaite développer une stratégie pour soutenir, en Europe, la production verte de médicaments, de principes actifs et de produits intermédiaires considérés comme clés et pour lesquels l’Union dépend entièrement d’un seul pays ou d’un nombre limité de fabricants.
L’avis de Testachats
Il s’agit d’une proposition très intéressante, mais quels incitants financiers ces pays sont-ils prêts à mettre en place pour encourager cette production qui coûtera clairement plus cher en Europe que dans d’autres régions du monde ? Si des subventions ou des allègements fiscaux sont proposés, il faudra les assortir de conditions strictes afin que ce ne soit pas à la société de couvrir les frais.
Si les différentes mesures proposées se concrétisent, plusieurs des recommandations politiques de Testachats seront mises en œuvre (au moins partiellement), ce qui bien entendu, nous réjouit.
Nous pensons qu’en exigeant des entreprises qu’elles signalent les indisponibilités (beaucoup) plus tôt et en assurant un suivi plus strict du marché et des pénuries, les autorités auront, en général, plus de temps pour trouver des solutions et pourront mieux gérer les problèmes d’approvisionnement. À condition que les mesures ne s'appliquent pas uniquement à un nombre limité de médicaments et que les stocks fassent l'objet d'un suivi.
La solidarité entre les États membres peut également contribuer à résoudre un problème d’indisponibilité à court terme, tout comme les plans d'atténuation des risques que les entreprises devront mettre en place pour certaines pénuries.
Toutefois, plusieurs mesures ne concernent que les médicaments dits essentiels ou critiques, dont la définition n’est pas encore claire à ce jour. Nous nous attendons donc à ce que les consommateurs continuent à être obligés de changer fréquemment de médicament en cas de rupture de stock alors qu'il existe plusieurs alternatives contenant le même principe actif.
La prévention
Dans l'ensemble, nous remarquons que peu de mesures sont axées sur une véritable prévention. L'obligation pour les entreprises de disposer d'un plan de prévention pour tous leurs médicaments va théoriquement dans ce sens, mais elle est si peu contraignante dans le texte légal que nous craignons qu’elle n’ait pas de réel effet. Qui plus est, nous sommes préoccupés par le fait que les plans de prévention ne seraient rendus obligatoires que pour une sélection limitée de médicaments, les médicaments dits critiques.
Le projet de produire certains principes actifs dans l'UE nous semble être une bonne voie pour réduire les vulnérabilités dans l'approvisionnement de certains médicaments mais nous devons veiller à ne pas les assortir d’incitants financiers sans aucune condition en contrepartie.
L’obligation faite aux entreprises de faciliter le transfert de licence en cas d’arrêt de la commercialisation d’un médicament permettrait de réduire d’impact d’une telle décision, mais nous regrettons que les gouvernements ne s’engagent pas à passer à la production publique lorsque les initiatives commerciales échouent ou font défaut.
La question des prix
Comme nous l’avons dit, beaucoup de pénuries sont liés à des prix de vente jugés trop bas par les entreprises pharmaceutiques. Cela entraine des vulnérabilités dans la chaine d’approvisionnement et dissuade les firmes de faire l’effort de maintenir certains produits sur le marché.
Chez Testachats, nous estimons qu'il est important que les firmes pharmaceutiques obtiennent un prix équitable pour leurs médicaments afin qu’elles bénéficient d’une marge bénéficiaire raisonnable. Cependant, elles ne peuvent pas continuer à se plaindre d’un manque de rentabilité alors qu’elles refusent de communiquer les coûts sous-jacents de production et de distribution qui permettraient, justement, de déterminer des prix équitables pour leurs produits.
Il peut d’ailleurs paraitre paradoxal que les entreprises ne se conforment pas à leur obligation d’approvisionnement pour des questions de réduction des coûts tout en entrainant des dépenses supplémentaires pour les gouvernements, les prestataires de soins de santé, et les patients.
Les quotas
Nous ne nous attendons pas à une amélioration fondamentale en ce qui concerne le problème des médicaments contingentés : les mesures prises nous semblent insuffisantes pour améliorer concrètement la situation.
Le respect des obligations
L'UE n'a pris aucune mesure pour rendre l'obligation d'approvisionnement plus contraignante. L'imposition de sanctions restant probablement une compétence majoritairement nationale, l'absence d'une politique de sanctions uniforme au niveau de l'UE présente des risques.
Vous l’aurez compris, il y a de très bonnes pistes dans les propositions actuelles, mais nous estimons qu’elles ne vont pas assez loin. Il est à craindre que de nombreux patients continuent à subir du stress et de l’angoisse parce que leur traitement a déserté les rayons de leur pharmacie.