Médicaments en rupture de stock


Cela vous est peut-être arrivé aussi : vous allez chez le pharmacien pour acheter un médicament que vous prenez depuis des années. Et au lieu de vous en donner une boîte, votre pharmacien vous annonce que le médicament est temporairement épuisé. Sans être en mesure de vous dire avec certitude quand le médicament sera à nouveau disponible.
Cette situation est bien plus fréquente qu’on pourrait l’imaginer. Nous avons interrogé plus de 2 000 compatriotes à ce sujet. Pas moins 28,5 % des ménages ont été confrontés à une pénurie de médicaments au cours des deux dernières années (les empêchant d’obtenir leur médicament dans les 24h), 16 % l’ont même vécu à plusieurs reprises. Et les résultats démontrent une augmentation de la problématique. Selon la liste officielle de l’Agence fédérale des médicaments et des produits de santé (AFMPS), plus de 500 conditionnements étaient temporairement indisponibles dans notre pays fin novembre 2020. Cette même année, un nombre identique ont définitivement été retirés du marché. L’impact sur le patient n’est pas négligeable. Celui-ci doit parfois retourner consulter son médecin, ce qui engendre régulièrement des dépenses supplémentaires, et parfois, la pénurie peut même avoir des répercussions sur sa santé. Et ce, alors que la principale raison des pénuries est d’origine commerciale. Nous exigeons dès lors plus d’action.
Absence de définition sans équivoque
Quand est-il question de pénurie ? Il n’y a malheureusement pas de définition sans équivoque. Si les entreprises pharmaceutiques sont toutefois légalement obligées de signaler une pénurie à leurs autorités compétentes, celles-ci déterminent chacune dans leur propre législation ce qu’il faut entendre par "pénurie". Ce qui complique bien évidemment la discussion de ce problème au niveau européen, tout comme la possibilité de pouvoir clairement cerner sa gravité et comprendre les tenants et les aboutissants de cette problématique complexe. Il y a peu, la Belgique appliquait encore un délai de deux semaines. Toute pénurie de plus longue durée devait être rapportée à l’AFMPS. Ce délai de notification a toutefois récemment été raccourci à trois jours.
L'AFMPS reconnaît en gros deux catégories d'indisponibilité temporaire sur son site web : "l'indisponibilité dite réelle" (due par exemple à des problèmes de production ou de qualité) et les "problèmes de distribution". Dans ce dernier cas, le médicament en question n'est pas disponible en raison d'un problème de distribution ; l’entreprise dispose toujours d'un stock du médicament, mais (certains) des grossistes, qui doivent approvisionner les pharmaciens, n'ont plus de stock, par exemple. Le résultat pour le patient est le même, à savoir que son médicament n’est pas disponible lorsqu'il le demande à la pharmacie. C'est la définition que nous utilisons en tant qu'organisation de consommateurs. On parle de pénurie quand une personne ne peut pas obtenir le médicament nécessaire dans les 24 heures. Légalement, les grossistes-répartiteurs sont tenus de s'organiser de manière à pouvoir livrer les commandes des pharmaciens dans les 24 heures.
Nous avons tâché ci-après de répondre aux questions suivantes :
En 2015, nous avons interrogé plus de 500 consommateurs. Et les résultats étaient très frappants. Pas moins d'un menage sur cinq avait été confronté une pénurie de médicaments au cours des cinq dernières années. Nous avons donc suivi cette situation de près et avons réitéré notre enquête en 2020, cette fois avec plus de 2 100 répondants. Et les résultats démontrent une augmentation de la problématique. Au cours de ces deux dernières années, pas moins de 28,5 % des ménages belges se sont entendu dire par leur pharmacien que le médicament demandé n'était pas disponible, 16 % l’ont même vécu à plusieurs reprises.
Selon les listes officielles de l'AFMPS, 510 conditionnements de médicaments n'étaient pas de stock dans notre pays l’année passée. L'AFMPS ne publie que les pénuries qui durent deux semaines ou plus. Les pénuries dues à des problèmes de distribution ne sont pas incluses dans cette liste car elles sont généralement de plus courte durée.
Nombre de ces pénuries durent en outre assez longtemps. Dans 18 % des cas, l'entreprise annonce même une interruption de la commercialisation, ce qui signifie que le produit ne sera pas disponible pendant longtemps, généralement plus d'un an. Pour les autres pénuries (82 %) de la liste de fin novembre 2020, la durée d'indisponibilité annoncée est de :
- < 1 mois : 6 %
- 1-3 mois : 26 %
- 3-6 mois : 25 %
- 6-9 mois : 24 %
- 9-12 mois : 18 %
Il est également préoccupant de constater qu'un grand nombre de médicaments que nos répondants n'ont pas pu obtenir sont justement destinés à traiter des problèmes graves.
Les médicaments vendus à prix d’or sont rarement en pénurie
Ce qui est frappant, c'est que les pénuries semblent être le « privilège » des médicaments génériques et des produits de marque plus anciens. Dans l'interminable liste de pénuries de l’AFMPS que nous avons analysée fin novembre 2020, nous n'avons trouvé presque aucun nouveau médicament vendu à des prix exorbitants.
Si votre médicament a été récemment indisponible pendant un certain temps et si vous voulez connaître la situation actuelle, vous pouvez consulter notre base de données des médicaments. Le point d’exclamation rouge près d’un produit indique que celui-ci n’est toujours pas disponible. Vous y trouverez également la date prévue de son retour en pharmacie et la raison invoquée par le fabricant pour expliquer la pénurie.
Evaluation officielle
L'agence des médicaments évalue l'impact sur la santé publique de tous les médicaments qui sont temporairement indisponibles dans 9 catégories. Ils sont tous codés par couleur : vert lorsque la pénurie n'est pas un problème selon l'AFMPS, orange lorsque la pénurie pourrait potentiellement entraîner des problèmes de santé et nécessite des mesures plus complexes, et rouge lorsque l'indisponibilité est vraiment critique. Dans ce cas, il n'y a pas d'autre solution que d'attendre, au moins pour certains patients.
Indisponibilité critique | 6% |
Adaptation du traitement possible | 15% |
Importation par le pharmacien possible | |
Importation par l'entreprise possible | |
1 ou 2 alternatives disponibles | 79% |
Au moins 3 alternatives disponibles | |
Médicament sans importance vitale | |
Indisponibilité de courte durée |
Evalution des indisponibilités temporaires fin novembre 2020
Problèmes rencontrés par les patients
Cette évaluation est absolument utile. Mais notre enquête montre que les nuisances et les conséquences pour les patients sont en réalité nettement plus importantes.
Un tiers des répondants pouvait acheter un médicament similaire dans la même pharmacie, 13% ont été contraints de se rendre dans une autre pharmacie et plus d'un quart ont finalement attendu que le médicament d'origine revienne. Heureusement, dans 4 cas sur 10, cela n'a pris que trois jours, mais pour 6 cas sur 10, cela a pris jusqu'à 2 semaines ou plus.
Plus de symptômes ou de problèmes
Bien qu'environ un tiers des répondants puissent acheter un médicament contenant le même ingrédient actif, même ce scénario ne signifie pas que la pénurie n'a plus d'impact sur le patient. Ce changement peut entraîner des erreurs, par exemple. Il n'est donc pas surprenant que 46 % des répondants qui ont été confrontés à une pénurie aient également déclaré avoir éprouvé davantage de symptômes ou de problèmes en raison de cette pénurie.
Le prix d’une pénurie
La pénurie d'un médicament n'a pas seulement un impact sur la santé. Plus de 30 % des répondants qui ont connu une pénurie ont ainsi indiqué que celle-ci avait également entraîné un coût financier supplémentaire. L'alternative s'est avérée plus coûteuse, une consultation supplémentaire avec le médecin a été nécessaire pour discuter des possibilités, le médicament n’a pu être acheté qu'à l'étranger et n'est donc pas remboursé... En moyenne, la pénurie a coûté au patient environ 26 € en plus du prix normal du médicament. Et puis nous ne parlons que de la différence de prix du médicament lui-même. Les consultations supplémentaires avec le médecin, les frais de transport, etc. ne sont pas encore inclus.
Les entreprises pharmaceutiques et les grossistes ont l'obligation légale d'approvisionner le marché en permanence. Voilà pour la théorie. Dans la pratique, les choses ne se passent manifestement pas toujours correctement. Les pénuries de médicaments sont une préoccupation majeure depuis plusieurs années, entre autres en Europe, et la crise du corona n’a fait que les augmenter.
Explications supplémentaires
Fin 2018, l'Europe a donc précisé que pour éviter les pénuries, les entreprises devaient produire bien à l'avance et en quantité suffisante tout médicament pour pouvoir répondre - sans contretemps - à la demande existante.
Pour les médicaments dont le processus de production repose en partie sur un seul pilier (par exemple un seul ingrédient actif, produit sur un seul site, etc.), elle a demandé une vigilance accrue. Ces médicaments sont en effet beaucoup plus sensibles aux pénuries. Il en va de même pour les médicaments pour lesquels il n'existe (encore) aucune ou peu d'alternatives sur le marché et pour lesquels une pénurie pourrait donc conduire à des situations potentiellement mortelles.
Les grossistes, qui constituent le lien entre les entreprises pharmaceutiques et les "distributeurs" comme les pharmacies, sont également tenus de pouvoir répondre à la demande des distributeurs.
Des obligations, pas de sanctions
Bien que les deux parties aient des obligations, aucune sanction n'était jusqu'à présent imposée lorsqu'une partie ne respectait pas ces règles. Elle recevait tout au plus un avertissement. Il est donc aussi souvent difficile de savoir quelle partie est spécifiquement responsable de la pénurie. La réglementation a cependant récemment été concrétisée dans notre pays, ce qui devrait faciliter à l'avenir la mise en demeure des entreprises ou des grossistes en cas de non-respect de la règle. La Commission européenne a en outre élaboré il y a peu une "Stratégie européenne pour les médicaments", dont la problématique des pénuries fait partie. En effet, elle est reconnue au niveau européen comme un problème nécessitant des mesures supplémentaires.
Les entreprises sont libres de retirer leurs médicaments du marché
Selon la législation européenne, les fabricants ne sont pas obligés de maintenir leur médicament sur le marché une fois qu'il a été approuvé. Ils doivent uniquement informer les instances compétentes du retrait deux mois à l'avance. Pour un médicament remboursé, ce délai est de six mois dans notre pays.
Comment une telle pénurie se produit-elle en réalité ? Pour le comprendre, il faut prendre en compte tous les acteurs du processus de production et de distribution des médicaments. Car un problème peut se poser dans chaque maillon de la chaîne.
L’argent prime
Cela dit, quand on examine de plus près les facteurs sous-jacents de ces problèmes, on constate que l'argent semble être une cause récurrente. Les entreprises pharmaceutiques tentent de réduire les coûts de toutes les façons possibles:
- Moins rentable, moins d’efforts: les médicaments plus anciens sont souvent moins rentables pour les entreprises, car leurs prix sont systématiquement réduits par des mesures gouvernementales. Les entreprises sont donc souvent moins enclines à investir beaucoup dans la qualité et la disponibilité continue de ces médicaments-là. Certains de ces médicaments « non rentables » sont finalement retirés du marché ou vendus à de petites entreprises qui tentent de faire monter les prix de manière substantielle, sans aucun respect de l'éthique.
- L'internationalisation et le déplacement du processus de production vers les pays à bas salaires: pour réaliser des économies, de nombreuses entreprises ont, au cours des dernières décennies, déménagé une grande partie de leur processus de production dans des parties du globe où les coûts sont moins élevés, comme l’Asie. La production de substances actives, en particulier, est fortement concentrée dans des pays comme la Chine. Conséquence: une chaîne de production plus complexe, des différences de réglementation et de contrôle, etc. et donc un risque plus élevé de problèmes de disponibilité.
- Concentration des entreprises pour certains produits: certaines substances actives et certains médicaments ne sont fabriqués que par un nombre très limité de producteurs sur le marché.
- Rationalisation du processus de production et des stocks: pour économiser de l'argent, les entreprises concentrent de plus en plus leur production et leurs stocks (limités) sur quelques sites. En outre, les différentes étapes du processus de production sont planifiées de manière stricte et serrée: les livraisons de médicaments « just in time » constituent de plus en plus la norme. Les entreprises pharmaceutiques limitent souvent leurs stocks au strict minimum, pour des raisons économiques.
Bien sûr, cela perturbe la flexibilité du marché lorsqu'un autre médicament similaire devient soudainement indisponible. Une entreprise concurrente est alors souvent incapable d'augmenter rapidement sa production pour compenser ainsi la pénurie. Et il va sans dire que l'impact d'un problème dans la production propre provoque le même phénomène. Un incendie, un souci de qualité inopiné, un problème avec une machine... Chaque facteur a ainsi un impact immense, souvent immédiat aussi pour le patient.
- En 2018, l’entreprise Kela a annoncé une pénurie de longue durée du médicament Maniprex. Essential Pharma, qui avait récemment acheté les droits du médicament similaire Camcolit, a immédiatement fait monter son prix en flèche.
Pour plus d’informations. - En 2009, l’entreprise pharmaceutique Aspen avait repris la commercialisation d'un certain nombre d'anciens médicaments pour le traitement du cancer de GSK. Quelques années plus tard, Aspen a demandé une augmentation du prix en Belgique, comme dans la plupart des autres États européens, afin de rendre le produit - qu’elle était seule à produire - à nouveau rentable. Les augmentations ont toutefois été extrêmes, jusqu'à 1600% selon le médicament. Après une enquête de la Commission européenne, l'entreprise a finalement accepté de baisser ses prix.
Pour plus d’informations. - Fin 2020, la société Therabel a cessé de commercialiser l’emballage de 25 comprimés du médicament Marevan pour le remplacer par un emballage de 60 comprimés. Cependant, pendant tout un temps, la demande de prix auprès du SPF Économie ainsi que la demande de remboursement à l'INAMI pour ce nouveau conditionnement n’étant pas en ordre, par conséquent le patient a soudainement dû payer de sa poche 17,3€ par mois au lieu de 1,3€. L'AFMPS s’en est mêlée et a temporairement retiré les nouveaux emballages du marché.
Pour plus d’informations.
Exportations parallèles et contingentement
- Sérialisation FMD: FMD signifie « Falsified Medicines Directive », une directive européenne. Afin de pouvoir déterminer si un médicament est réel ou falsifié, un code unique est attribué à chaque emballage de médicament. Cependant, l'impression de ces codes nécessite une technologie et une infrastructure spécifiques dont ne disposent pas toutes les usines. Les médicaments reçoivent donc régulièrement ce code dans une autre filiale, ce qui peut parfois entraîner des problèmes de disponibilité des médicaments.
- Excipient ou principe actif non disponible: Le nombre de fabricants qui peuvent fournir des excipients ou des principes actifs pour un médicament est souvent très limité. De plus, des exigences de qualité strictes doivent être respectées avant qu’ils puissent être utilisés dans les médicaments. Si une entreprise n'obtient pas le composant, ou pas à temps, la production peut devoir être temporairement arrêtée.
- Problèmes logistiques: Souvent, tous les ingrédients d'un médicament ne sont pas disponibles dans la filiale de production. Le transport de ces substances est évidemment sensible à d'éventuels problèmes tels que les embouteillages, les pannes, les accidents et les obligations douanières.
- Force majeure: Il arrive parfois que des circonstances imprévues entraînent l'épuisement du stock d'un certain médicament ou mettent l’entreprise dans l’incapacité (temporaire) de produire de nouveaux médicaments. Pensez par exemple à un incendie, un vol, une grève, un accident de la route...
- Problèmes de production: Dès le début de la production, des contrôles ont lieu après chaque phase de production. Si un problème ne peut être résolu immédiatement, la production est temporairement arrêtée, afin que la qualité du médicament ne soit pas compromise. Un contrôle de qualité final est également effectué à la fin du processus de production. Si un médicament ne passe pas ce contrôle, le processus de production doit être entièrement recommencé. Cela peut évidemment conduire à une indisponibilité.
- Licence d'importation et d'exportation en instance: Afin de lutter contre le trafic et l'abus illicites de stupéfiants et de psychotropes, le transport de ces drogues est strictement réglementé et contrôlé. En cas de transport international de ce type de médicaments, le fabricant doit demander une licence d'importation et d'exportation à la fois au pays d’où il importe et au pays où il exporte.
- Demande insuffisante: une demande insuffisante pour un médicament peut avoir diverses causes. En raison de l'évolution des directives cliniques, de l'innovation ou de nouvelles indications concernant des médicaments existants, diverses alternatives thérapeutiques peuvent être disponibles pour le traitement d'une maladie. Cela peut rendre certains médicaments obsolètes.
- Rappel: Si un médicament ne répond plus aux normes de qualité ou s'il y a des doutes, il peut être retiré du marché par mesure de précaution. Le médicament n'est alors (temporairement) plus disponible.
- Demande accrue: Lorsque davantage de patients doivent inopinément être traités ou lorsque la commercialisation d'un médicament similaire est temporairement ou définitivement interrompue, il peut arriver que la demande pour un certain médicament dépasse soudainement la capacité de production. Cependant, la production de médicaments implique beaucoup d’aspects. Il faut donc généralement plusieurs mois avant que la capacité puisse être augmentée pour répondre à la nouvelle demande. Cela peut conduire à une pénurie temporaire du médicament en question.
- Raisons commerciales: Il peut arriver que le profit généré par un médicament diminue, par exemple dans le cas où le gouvernement met en œuvre des réductions de prix ou que certains coûts deviennent plus élevés, etc. Le fabricant peut alors décider d'arrêter temporairement ou définitivement la commercialisation du produit.
- Remplacement par un autre médicament/emballage: Une entreprise peut adapter la formule ou l'emballage de son médicament. Dans ce cas, il n'y a généralement pas de problème puisque l'alternative est disponible.
- Raisons commerciales: il peut arriver que le profit généré par un médicament diminue, par exemple dans le cas où le gouvernement met en œuvre des réductions de prix ou que certains coûts deviennent plus élevés, etc. Le fabricant peut alors décider d'arrêter temporairement ou définitivement la commercialisation du produit.
Problèmes de production: des contrôles de qualité sont effectués après chaque phase de la production d'un médicament. Si un problème ne peut être résolu immédiatement, la production est temporairement arrêtée, afin que la qualité du médicament ne soit pas compromise. Si ces problèmes persistent, l'entreprise peut choisir de cesser la commercialisation afin de réduire les coûts. - Force majeure: il arrive parfois que des circonstances imprévues entraînent l'épuisement du stock d'un certain médicament ou mettent l’entreprise dans l’incapacité (temporaire) de produire de nouveaux médicaments. Pensez par exemple à un incendie, un vol, une grève, un accident de la route...
Suspension ou suppression d’autorisation : l'autorisation d'un médicament peut être retirée temporairement ou définitivement par les pouvoirs publics pour des raisons de sécurité. Après adaptations éventuelles, la situation est évaluée de manière approfondie, après quoi la suspension peut être levée ou l’autorisation supprimée définitivement. - Arrêt remboursement: la cessation du remboursement peut avoir pour conséquence que les patients se détournent du médicament, et que de ce fait, il ne soit plus intéressant, du point de vue commercial, pour l’entreprise de le maintenir sur le marché.
- Remplacement par un autre médicament/emballage: Une entreprise peut adapter la formule ou l'emballage de son médicament. Dans ce cas, il n'y a généralement pas de problème puisque l'alternative est disponible.
- Excipient ou principe actif indisponible: le nombre de fabricants qui peuvent fournir des ingrédients actifs pour un médicament est souvent très limité. De plus, des exigences de qualité strictes doivent être respectées avant qu’ils puissent être utilisés dans les médicaments. Si une entreprise n'obtient pas le composant, ou pas à temps, la production peut devoir être temporairement arrêtée.
- Demande insuffisante: une demande insuffisante pour un médicament peut avoir diverses causes. En raison de l'évolution des directives cliniques, de l'innovation ou de nouvelles indications concernant des médicaments existants, diverses alternatives thérapeutiques peuvent être disponibles pour le traitement d'une maladie. Cela peut rendre certains médicaments obsolètes.
Les pharmaciens constatent au quotidien que les pénuries de médicaments augmentent dans notre pays . Nous avons parlé avec le pharmacien Koen Straetmans, président ad interim de l’Association Pharmaceutique Belge (APB) de cette problématique. Quelle approche adoptent-ils?
Malheureusement, il arrive de plus en plus souvent qu'un patient présente une ordonnance et que le médicament en question s'avère ne pas être disponible. Comment les pharmaciens gèrent-ils cette situation?
« En effet, nous constatons également cette tendance à la hausse. Une enquête de l'Organisation européenne des pharmaciens montre qu'un pharmacien consacre en moyenne une heure par jour aux pénuries. Cela va de l'information au patient à la recherche concrète de solutions pour une pénurie particulière, du temps que le pharmacien préfèrerait évidemment utiliser pour s’occuper des patients.
Le mode opératoire face à une pénurie est très différent selon le type de médicament qui est en rupture de stock. La solution peut être assez simple, par exemple, lorsque nous pouvons fournir un médicament identique aux patients. L’ingrédient actif, la dose et le mode d'administration sont alors les mêmes, même si le produit provienne d'une entreprise différente. Bien que cela puisse également causer des problèmes aux patients qui risquent de se tromper de dose ou de moment d’administration.
Toutefois, dans certains cas, la situation est vraiment difficile et il n'y a tout simplement pas d'alternative. D’après les cercles politiques et les entreprises pharmaceutiques, ces cas se compteraient sur les doigts d'une main. Toutefois, nous ne devons certainement pas minimiser le problème des pénuries, d'autant plus que le patient peut en être sérieusement impacté. Dans un tel cas, une task force est constituée au sein de l'agence des médicaments (AFMPS) en vue d’établir un plan d'action. Le vaccin contre la grippe pour la saison 2020-2021 en est un exemple. »
- Substance active, composition et mode d'administration identiques: « Dans ce cas, le pharmacien peut lui-même remplacer le médicament prescrit par une autre marque. Ce qui garantit la continuité du traitement. Les patients sont toujours bien informés à ce sujet. »
- L’entreprise importe le médicament depuis l’étranger: « Lorsqu'il s'agit d'un médicament essentiel, l'AFMPS permet parfois à l'entreprise elle-même d'importer le médicament de l'étranger. Dans ce cas, l’INAMI rembourse le médicament. Pour le patient, peu de choses changent alors: la notice est fournie dans nos langues nationales, seul l'emballage est parfois dans une autre langue. »
- Le pharmacien importe le médicament depuis l’étranger: « Cela arrive aussi, avec toutefois des conséquences désavantageuses pour le médecin, le pharmacien et le patient. Le pharmacien doit alors lui-même chercher où le médicament est encore disponible et le commander, ce qui entraîne un tas de complications administratives. Par ailleurs, les pharmaciens ont besoin d’une déclaration du médecin pour ce faire. Le patient doit donc souvent d’abord retourner chez son médecin traitant pour obtenir ce formulaire. Sans compter que le médicament ne sera pas remboursable. Le patient devra payer le prix plein demandé dans le pays étranger, ainsi que parfois des frais d’envoi supplémentaires. »
- Préparations magistrales: « Il arrive que le pharmacien soit en mesure de préparer lui-même le remède d’origine. Le patient est dans ce cas peu impacté. »
- Pas d’alternative: « Lorsqu’il n’existe aucune alternative et qu’il s’agit d’un médicament essentiel, l’AFMPS constitue une task force. Cette dernière formule une série de recommandations pour les médecins et pharmaciens, comme ce fut par exemple le cas pour le vaccin contre la grippe au cours de la saison grippale passée : certains groupes cibles ont eu la priorité, les autres ont dû prendre leur mal en patience... »
Avez-vous connaissance des causes les plus courantes de telles pénuries?
« En termes de pénuries, il faut à vrai dire distinguer deux grands groupes, à commencer par ce que l’on appelle les indisponibilités réelles. Il s’agit de pénuries provoquées par un problème de production ou pendant le transport, par exemple. Ces pénuries sont répertoriées dans l’outil de l’AFMPS, Pharmastatut. Dans la plupart des cas, ces pénuries peuvent être compensées par les possibilités déjà décrites: une préparation magistrale, une autre marque...
Il existe toutefois aussi un groupe de médicaments contingentés. Voici en quoi cela consiste. Les entreprises pharmaceutiques limitent leurs livraisons aux grossistes à un quota déterminé. Elles le font pour éviter que certains grossistes exportent leurs produits vers l’étranger où ils sont vendus à des prix plus élevés. Selon moi, de telles pratiques sont inadmissibles. Le problème, c’est que l’AFMPS n’a actuellement pas une bonne vue sur ce type de pénuries. Nous constatons par ailleurs que cela concerne souvent de nouveaux médicaments encore protégés par un brevet, et pour lesquels il n’existe donc encore aucun générique. Ce qui limite fortement les options.
Heureusement, le pharmacien peut dans ce cas commander directement le médicament à l’entreprise qui conserve une réserve à cet effet. Cela génère évidemment des tracasseries administratives supplémentaires. C’est pourquoi quelques associations professionnelles flamandes ont créé un site web, farmacontingentering.be, qui facilite les commandes faites aux entreprises par les pharmaciens. Évidemment, le patient doit parfois attendre plusieurs jours avant d’obtenir son médicament. En tant que pharmaciens, nous savons relativement bien quels sont les médicaments contingentés. Cela concerne actuellement entre 100 et 200 médicaments d’environ 25 entreprises différentes. Lorsque nous savons par les patients qu'ils ont besoin d'un tel médicament chaque mois, par exemple, nous leur conseillons de le commander en pharmacie une semaine avant d’en avoir besoin. »
Selon vous, quelle serait la solution au problème?
« La solution miracle n’existe pas. Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte et seul un ensemble de mesures différentes pourrait venir à bout du problème. Grosso modo, il existe deux manières d’appréhender la problématique des pénuries : curative et préventive. Au cours de ces dernières années, notre pays s’est assez largement investi dans l’aspect curatif: mise en place d’un arbre de décision, instauration de signalements transparents, veiller à ce que les pharmaciens connaissent la marche à suivre. D’énormes progrès ont déjà été réalisés. Un groupe de travail va à présent poursuivre la réflexion sur la façon d’éviter de telles pénuries à l’avenir. Finalement, mieux vaut prévenir que guérir, n’est-ce-pas? »
Le site web Pharmastatut est opérationnel depuis maintenant un peu plus d’un an. Vous pouvez y consulter les informations concernant les pénuries existant actuellement dans notre pays, la durée d’une pénurie, son origine et, sans doute le point le plus important pour les patients, si des alternatives sont disponibles. Laure Geslin est à la tête du département de l’Agence fédérale des médicaments (AFMPS) qui s’occupe de ces pénuries. Elle nous dévoile comment son service réagit dans ces situations.
Les firmes pharmaceutiques sont dans l’obligation de signaler lorsqu’un médicament reste indisponible plus de trois jours. Que faites-vous de ces signalements?
« Notre service analyse quotidiennement ces signalements. Nous utilisons ce que nous appelons notre arbre de décision afin d’évaluer la gravité de la pénurie et surtout son impact sur le patient. Pour ce faire, nous commençons par examiner sa durée. Lorsqu’une firme signale que la pénurie n’excèdera pas 30 jours, nous considérons qu’elle n’est pas problématique. Les grossistes-répartiteurs (ndlr. il s’agit de firmes en charge de l’approvisionnement des pharmacies) sont en effet tenus de garder à disposition une réserve d’au moins un mois. Une telle pénurie temporaire peut donc la plupart du temps être absorbée grâce au stock disponible chez les grossistes- répartiteurs et autres pharmacies. Si la firme signale par contre que la pénurie s’éternisera au-delà de 30 jours, nous commençons par vérifier s’il existe des alternatives présentant le même principe actif et la même forme, pas une pommade, par exemple, si le médicament manquant est un comprimé. S’il existe trois alternatives ou plus sur le marché, nous déclarons la pénurie comme non problématique. Le patient peut être traité avec le même médicament d’une autre marque. Ce qui ne signifie toutefois pas qu’il n’y aura pas d’impact sur le patient. Il doit en effet changer de marque, ce qui peut être source d’erreurs. Toutefois, l’essentiel est que le traitement puisse être démarré ou poursuivi malgré la pénurie. »
Qu’en est-il si les alternatives sont moins nombreuses ou même inexistantes?
« Lorsque moins de trois alternatives sont disponibles, nous commençons par vérifier le caractère essentiel du médicament. S’il s’avère qu’il n’est pas essentiel, comme un sirop pour la toux ou une pommade dermatologique, l’analyse s’arrête là et nous considérons la pénurie comme non problématique. Si le médicament fait par contre partie de l’une des catégories essentielles, nous poursuivons la recherche d’alternatives. Si une ou deux alternatives sont encore présentes sur le marché, nous contactons ces firmes et leur demandons si elles peuvent pallier la pénurie. Dans l’affirmative, la pénurie se voit octroyer un label vert dans Pharmastatut et n’est donc pas problématique. Si par contre aucune ne semble disponible, ou si les firmes produisant les rares alternatives ne sont pas en mesure de compenser, nous sollicitons l’avis des experts cliniques de notre service. Ils se mettent dès lors à la recherche d’une alternative thérapeutique, d’un médicament à l’action similaire malgré un principe actif différent. Quoi qu’il en soit, la situation n’est pas idéale pour le patient. Il doit retourner consulter son médecin pour obtenir une nouvelle ordonnance. Et comme il s’agit d’un autre médicament, il faut attendre de voir si le nouveau remède est aussi bénéfique pour le patient et quels sont les éventuels effets secondaires qu’il subit. »
Toutes les pénuries peuvent-elles être compensées de cette manière?
« Malheureusement pas. Il arrive qu’aucune alternative ne soit disponible, même avec un autre principe actif. Dans ce cas, nous nous adressons à la firme et nous concertons avec elle sur la possibilité d’importer le même médicament de l’étranger. Si c’est possible, elle doit introduire une demande auprès de nous afin de pouvoir livrer temporairement ce médicament étranger sur le marché belge. C’est naturellement une bonne nouvelle pour le patient étant donné qu’il s’agit exactement du même produit. Cependant, cette solution prend beaucoup de temps. En effet, il faut d’abord introduire la demande et le produit doit ensuite être importé. En outre, chaque emballage en possession d’un patient doit contenir une notice dans les trois langues nationales, ainsi qu’un message d’accompagnement. Ce message doit clarifier la raison pour laquelle l’emballage est en espagnol ou en italien, par exemple. L’avantage est que cette procédure permet tout de même au médicament importé d’être remboursable. Le patient débourse dès lors exactement la même somme qu’auparavant. Dans certains cas, il s’agit par contre d’une pénurie dépassant nos frontières, la firme ne peut donc proposer de solution. Nous vérifions alors si les pharmaciens ne peuvent pas eux-mêmes importer le médicament. Bien qu’il s’agisse toujours du même médicament, cette procédure a un impact plus important sur le patient. En effet, ce dernier a dès lors besoin d’une déclaration du médecin certifiant qu’aucun médicament n’est disponible sur le marché belge en plus d’une ordonnance. Il doit donc de toute manière retourner chez son médecin. Par ailleurs, l’emballage ne contiendra pas de notice dans sa langue et il faudra souvent plusieurs jours avant l’arrivée du produit qui ne sera pas non plus remboursable. Le patient devra donc payer la totalité du prix du médicament à l’étranger, ainsi que les frais d’importation. C’est loin d’être la panacée. »
Et si cela ne semble pas possible non plus?
« Parfois, il ne reste plus aucune réserve non plus dans d’autres pays ou le médicament n’est pas facilement importable pour des raisons pratiques, comme dans le cas d’un vaccin qui doit être acheminé par transport frigorifique. Il est alors question de pénurie critique. Il faut dès lors faire en sorte de limiter le stock disponible et le réserver exclusivement aux personnes qui en ont le plus besoin. En cas de pénurie critique, nous composons une task force d’experts en fonction du médicament. Ils formulent alors une série de recommandations pour les médecins et pharmaciens afin qu’ils gèrent au mieux la pénurie. Rappelez-vous les récents cas du vaccin contre la grippe ou le pneumocoque. Fort heureusement, ces pénuries critiques font encore figure d’exceptions dans notre pays. »
Les conclusions de votre analyse sont-elles également communiquées aux patients, médecins et pharmaciens?
« Chaque signalement se voit attribuer une étiquette après l’analyse, ainsi qu’un code couleur. Ce code et les conclusions sont intégrés dans notre outil Pharmastatut. En fait, il a été développé comme un outil de communication entre les firmes, l’AFMPS, les pharmaciens, les médecins, les grossistes- répartiteurs et les patients. Il remplace avantageusement les listes interminables reprenant les pénuries que nous publiions précédemment sur notre site web, si rébarbatives pour les patients. À vrai dire, Pharmastatut se compose de trois parties. À commencer par les informations accessibles au public. Vous pouvez y consulter les pénuries existantes, leur durée, ainsi que nos conclusions basées sur l’arbre de décision. Ces informations atterrissent d’ailleurs directement dans de nombreux logiciels destinés aux médecins et pharmaciens. Pas encore tous, l’objectif étant de généraliser cela. Un médecin peut ainsi vérifier pendant une consultation s’il doit se rabattre sur un autre médicament nécessitant une autre prescription ou une déclaration du médecin. Ce qui évite au patient les allers-retours entre le médecin et le pharmacien.
Pharmastatut contient par ailleurs un volet uniquement disponible pour les firmes mêmes, leur permettant de signaler les pénuries. Ils peuvent ainsi le faire beaucoup plus facilement et rapidement qu’avant. Les signalements faits de cette manière sont d’ailleurs directement consultables par tout le monde. Ils sont ensuite, souvent d’ailleurs le jour même, complétés avec les conclusions de notre analyse. Il existe enfin un troisième volet qui sera mis en fonction en mars 2021. Il s’agit d’un espace dans lequel les pharmaciens et les grossistes- répartiteurs pourront eux-mêmes signaler une pénurie aux firmes. Ce qui nous donne l’avantage d’également pouvoir consulter ces signalements. Imaginons que 200 pharmaciens signalent tout à coup une pénurie d’un médicament donné alors que la firme ne nous a rien communiqué à ce sujet. Il va de soi que nous investiguerions à ce sujet. Nous n’avons pas encore prévu de donner l’opportunité aux patients de signaler une pénurie, comme c’est par contre le cas pour les effets secondaires. Nous estimons qu’ils ne sont en général pas suffisamment informés par rapport aux firmes ou grossistes- répartiteurs que leur pharmacien a consultés ou des autres options qu’il a explorées. Il s’agit pour nous d’informations capitales permettant d’analyser précisément la pénurie. Même si ce sont naturellement eux qui pâtissent le plus des conséquences de la pénurie... »
Avant, les firmes ne devaient signaler une pénurie que lorsqu’elles se prolongeaient au-delà de 15 jours, ils doivent à présent le faire à partir de trois jours. Les pénuries durant entre trois et 15 jours ne sont pourtant pas montrées sur Pharmastatut? Existe-t-il une raison à cela?
« Nous ne les montrons en effet pas sur Pharmastatut parce que ces pénuries temporaires ne sont en réalité pas cataloguées comme problématiques. Les grossistes sont en effet tenus de conserver un stock pour un mois. Grâce à cette règle, ces pénuries temporaires ne sont pas problématiques pour le patient. Les pénuries causées par le fameux contingentement font également partie des pénuries de courte durée. En d’autres termes, les firmes limitent leurs livraisons mensuelles aux grossistes- répartiteurs au strict nécessaire. Ce qui ne pose aucun problème en soi. À moins que la quantité limitée ne suffise pas à combler les besoins de la population, ou qu’une partie n’en soit exportée (directement ou indirectement) par le grossiste- répartiteur. Cela peut provoquer une pénurie temporaire qui se remarque souvent en fin de mois en attendant les livraisons du moins suivant.
Notre objectif est d’améliorer fortement la cartographie de cette problématique dès que les signalements des grossistes- répartiteurs et des pharmaciens deviendront réalité. Il s’agit d’un réel contrôle sur le terrain. En attendant, nous avons engagé et formé plusieurs contrôleurs afin d’effectuer des contrôles véritablement ciblés à ce sujet. Il y aura par ailleurs bientôt un Arrêté royal dont l’objectif est d’obtenir plus de transparence au niveau des grossistes- répartiteurs afin d’avoir une vue plus précise sur la quantité nécessaire pour satisfaire les besoins de notre population. Il sera ainsi possible de vérifier les stocks qu’ils ont achetés et la part de stocks vendus dans le cadre du service public aux pharmacies donc, et la part qui ne l’est pas. »
Observez-vous ces dernières années une augmentation du nombre de pénuries?
« L’on observe en effet une augmentation depuis quelques années. Elle est toutefois partiellement due à des changements de loi ainsi qu’à la sensibilisation. Nous avons énormément investi dans cette communication avec les firmes au cours des années écoulées. Au plus vite ils nous signalent une pénurie, au plus nous avons de latitude pour chercher des alternatives afin d’en réduire au mieux l’impact sur le patient. Force est de constater que les firmes en sont plus conscientes qu’avant et améliorent sensiblement l’enregistrement de leurs signalements chez nous. »
L’ensemble de la crise du corona a-t-elle eu un impact sur le nombre de pénuries dans notre pays?
« Nous nourrissions de très grandes craintes à ce sujet. Et finalement tout s’est globalement bien passé. Nous avons toutefois dû temporairement adopter une autre méthode que notre arbre de décision pour certains médicaments parce que nous avions constaté qu’un grand problème menaçait les soins intensifs. Nous avons donc immédiatement dressé une liste de tous les médicaments concernés pour le traitement des patients atteints de Covid-19 dans les hôpitaux. Nous avons ensuite surveillé le stock de ces produits à différents niveaux à l’aide d’un outil, tant auprès des firmes que des grossistes-répartiteurs et pharmacies hospitalières. Cela nous a permis de correctement estimer combien de temps nous pouvions tenir, sur base de la réserve disponible et des modèles épidémiologiques nous permettant d’évaluer les quantités nécessaires à venir. En cas de risque ou de présence de problèmes, nous examinions la possibilité d’obtenir des réserves supplémentaires par le biais de firmes pharmaceutiques ou à l’étranger. Nous avons par ailleurs composé un stock stratégique pour différents produits, afin de pouvoir faire face à l’extrême recrudescence temporaire survenant lors d’un pic. »
Quelles possibilités voyez-vous afin de mettre un terme à cette tendance grandissante et de réduire la quantité de pénuries?
« Les pénuries de médicaments restent une problématique complexe contre laquelle il n’existe malheureusement pas de solution unique. Ces dernières années, nous avons principalement concentré nos efforts sur la résolution de problèmes posés par les pénuries. Nous voulons à présent résolument nous concentrer aussi sur la prévention. L’une des principales causes de pénuries que nous observons est bien évidemment de nature économique. Le prix des médicaments a considérablement chuté au cours des dernières années, ce qui a naturellement des répercussions. Des firmes décident de sous-traiter la production de certains produits, de réduire leurs réserves au strict nécessaire, de n’impliquer plus qu’un seul site de production, etc. Il va de soi que l’impact est énorme au moindre problème. Nous plaidons dès lors avec fermeté pour des mesures au niveau européen. De tels problèmes dépassent dans de nombreux cas les frontières nationales. On peut, par exemple, constituer un stock de sécurité pour les médicaments critiques ou imaginer un plan d’action élaboré à l’avance par les firmes qui produisent ces médicaments critiques afin qu’elles puissent trouver un remplacement en cas de pénurie. Certaines choses peuvent aussi être entreprises au niveau national. Nous aimerions, par exemple, appliquer l’outil de monitorage de stock utilisé pendant la crise du corona aux médicaments essentiels. Il faudra bien évidemment commencer par se mettre d’accord sur les médicaments à estampiller comme essentiels. »
Que fait l’Europe ?
La Commission européenne a entrepris une étude afin de répertorier les causes sous-jacentes des pénuries de médicaments et d’analyser le cadre légal. Les résultats serviront à adapter la législation. Il s’agit de l’un des objectifs décrits dans la stratégie pharmaceutique que l’Europe a approuvée fin 2020. Grâce à quoi l’amélioration de la disponibilité permanente de médicaments est reconnue comme étant une priorité. Parmi les pistes étudiées, notons des obligations plus strictes pour les firmes concernant l’approvisionnement, plus de transparence concernant les stocks de médicaments à travers toute la chaîne, etc.
Que fait la Belgique ?
Différentes actions ont déjà été entreprises en Belgique, même si l’on se concentrait par le passé plus souvent sur la transmission d’informations et la limitation des conséquences que sur la prévention des pénuries. Plusieurs auditions, où nous avons également eu l’occasion de faire entendre notre voix, ont ainsi été organisées au Parlement au cours de ces dernières années, et différentes résolutions et initiatives législatives ont été formulées.
Comment faire mieux d’après nous?
- Il faut établir une définition claire des pénuries. Elles doiventêtre intégrées à la législation européenne afin que tout le monde parle de cette problématiquesur base d’une même terminologie.
- Il faut compiler plus de chiffres et d’informations concernant l’ampleur du commerce parallèle et son impact sur les pénuries de médicaments, ainsi qu’au sujet d’autres aspects tels que le prix, par exemple. Ces informations doivent permettre de mettre le haut-là sur certaines pratiques de la manière la plus adéquate.
- Les producteurs de médicaments essentiels doivent disposer d’un plan d’action afin d’éviter les pénuries. Il peut s’agir d’une certaine réserve minimale au niveau européen, mise en place par le fabricant d’une sorte de tampon , afin d’être en mesure d’éviter le plus possible les indisponibilités causées par des problèmes dans le processus de production.
- Les pouvoirs publics doivent mieux surveiller le marché. Certains groupes de médicaments semblent plus sensibles aux ruptures de stock que d’autres. Il faut correctement inventorier ces catégories avec précision si l’on veut pouvoir anticiper les pénuries.
- Pouvoirs et secteurs publics doivent prendre des mesures dès l’identification des produits « sensibles ». Voici quelques pistes en fonction de la situation:
- Organisation d’un appel d’offres public lorsqu’un producteur souhaite mettre fin à la production d’un vieux médicament qui est important pour la qualité ou l’accessibilité de nos soins de santé.
- Plus d’initiatives publiques comme la production de certains médicaments par les pouvoirs publics ou par le biais d’initiatives publiques-privées.
- Il faut plus de transparence concernant les coûts de développement, de production et de distribution de médicaments. Ce n’est actuellement pas le cas, ce qui empêche les pouvoirs publics d’exercer un contrôle efficace sur une fixation des prix équitable pour tous les médicaments, qu’ils soient nouveaux ou anciens.
- Les patients ni la société ne devraient supporter les conséquences financières de pénuries, cette facture devrait être présentée aux firmes qui en sont à l’origine.
- L’obligation pour les firmes et grossistes d’approvisionner en permanence le marché doit être rendue plus exécutoire et les sanctions nécessaires doivent être établies.
- L’outil d’information Pharmastatut de l’AFMPS représente déjà une grande avancée dans la communication des pénuries aux patients. Ils devraient toutefois également avoir la possibilité d’eux-mêmes en signaler. Ce n’est malheureusement pas encore le cas à l’heure actuelle.