Pénurie de médicaments en Belgique : quels coûts supplémentaires pour les patients ?


À quelle fréquence surviennent les pénuries de médicaments en Belgique ?
"Début 2023, Testachats a réalisé un sondage auprès de 1 250 patients. Il s'avère que 43 % d'entre eux avaient dû faire face à une pénurie de médicaments durant les deux années précédentes. Ce pourcentage est nettement supérieur au taux de 28,5 % mesuré lors d'une enquête fin 2020", explique notre experte santé.
Pour 32 % des patients, cette situation de pénurie avait mené à des coûts supplémentaires :
- Pour 21 %, les répercussions financières étaient limitées ;
- Pour 7 %, les répercussions financières étaient modérées ;
- Pour 4 %, les répercussions financières étaient sérieuses.
Selon une récente enquête de la Vlaams Patïentenplatform, ce sont trois patients sur quatre qui ont dû faire face à une pénurie de médicaments.
Quelle est la cause des pénuries de médicaments ?
De fin mai à fin août, la Belgique a été touchée par une pénurie de médicaments, et plus précisément de l'Hydrea. "Ce médicament, utilisé dans le traitement de plusieurs formes de cancers du sang et d'affections sanguines, n'était plus disponible chez nous. Si les patients pouvaient heureusement s'en procurer via des commandes à l'étranger, nous avons reçu le témoignage d'une personne ayant déboursé jusqu'à 100 € pour une boîte de 100 comprimés, alors que ce médicament est normalement intégralement remboursé", informe Martine Van Hecke, experte santé chez Testachats.
Coup de projecteur sur les motifs de ces pénuries et leurs conséquences pour les patients.
Comment surviennent les pénuries de médicaments ?
Lorsque les brevets qui protègent les médicaments expirent, ceux-ci semblent plus exposés aux problèmes d'approvisionnement par la suite. La raison est simple : une fois le brevet expiré, les prix chutent, ce qui fait baisser les marges bénéficiaires pour les entreprises pharmaceutiques. Elles sont donc moins disposées à investir pour maintenir un approvisionnement suffisant et fluide.
"Si des problèmes surviennent au sein d'une entreprise au niveau de la production, et qu'elle doit choisir entre deux médicaments, elle privilégiera plutôt le médicament le plus rentable aux dépens de l'autre. D'autres raisons, au niveau de la production ou de la distribution, peuvent également provoquer des pénuries", explique-t-elle.
Notre dossier complet sur les pénuries de médicaments
Politiques nationales en matière de médicaments
Il est fréquent que des médicaments indisponibles dans notre pays soient pourtant disponibles à l'étranger, preuve que des facteurs nationaux entrent également en jeu. L'un d'eux est par exemple le prix de vente du médicament, les firmes pharmaceutiques donnant ainsi la priorité à certains marchés nationaux plutôt qu'à d'autres.
En Belgique, la fixation des prix des médicaments incombe au ministre de l'Économie, et les décisions liées au remboursement sont prises par le ministre des Affaires sociales. Des obligations spécifiques encadrent par ailleurs les médicaments remboursés plus anciens, dont le prix doit être revu à la baisse. Le prix de vente pouvant alors devenir très bas, les entreprises peuvent demander une révision lorsqu'elles jugent qu'une certaine rentabilité n'est plus atteinte. Pour ce faire, elles doivent rendre des dossiers comprenant entre autres des informations sur les coûts de production, un point sur lequel... elles préfèrent ne pas communiquer.
En ce qui concerne l'Hydrea, il n'est pas possible d'affirmer que le prix a joué un rôle dans la pénurie survenue dans notre pays. Les motifs évoqués par les entreprises, et communiqués aux instances responsables pour justifier une pénurie (en Belgique, l'Agence fédérale des médicaments et des produits de santé), sont généralement très vagues. Dans le cas présent, l'entreprise parle de "retards dans la production".
La reprise d'anciens médicaments bon marché, une pratique courante chez les entreprises pharmaceutiques
Jusqu'à récemment; l'Hydrea était commercialisé par le géant pharmaceutique Bristol Meyers Squib (BMS).
Lorsqu'un médicament n'offre plus une rentabilité optimale, les grandes entreprises préfèrent s'en débarrasser, la loi les autorisant à stopper la commercialisation.
Un choix qui n'est bien souvent pas éthique. S'il est évident qu'une entreprise doit faire des bénéfices, une récente étude de bureau de consultance Technopolis montre que les entreprises qui stoppent la commercialisation d'un médicament sont souvent des géants du secteur. Leurs marges bénéficiaires globales sont plus que confortables. L'argument économique peut donc sembler léger pour justifier l'arrêt de commercialisation d'un médicament, compte tenu des possibles répercussions négatives pour les patients. Après tout, si la rentabilité d'un médicament est faible ou nulle dans un pays, les grandes firmes sont capables de compenser via la vente d'autres médicaments plus lucratifs ou via la vente du même médicament dans des pays où elle est plus rentable.
Quoi qu'il en soit, de plus petites entreprises semblent rester intéressées par ces médicaments abandonnés par les géants du secteur, raison pour laquelle Cheplapharm a racheté l'Hydrea à BMS en 2022.
Les conséquences des pénuries de médicaments pour les patients
Les conséquences pour la santé des patients
Dans le cas de l'Hydrea, la pénurie est particulièrement préoccupante puisqu'en Belgique, il est le seul médicament à base d'hydroxycarbamide disponible. La pénurie est moins handicapante dans des pays où les firmes mettent en vente plusieurs médicaments similaires.
Les répercussions des pénuries de médicaments
Les coûts supplémentaires engendrés par les pénuries de médicaments
Lorsqu'une entreprise n'est plus en mesure d'approvisionner le marché belge, elle est légalement tenue d'en informer l'AFMPS dans les plus brefs délais. Plus l'annonce est faite rapidement, mieux l'Etat peut s'y préparer et prendre les mesures nécessaires pour réduire les répercussions sur les patients. L'AFPMS va ensuite évaluer l'ampleur de la pénurie, sa durée annoncée, l'importance du médicament concerné, etc.
Dans le cas d'un médicament essentiel dans le traitement d'une ou plusieurs affections pour lequel aucune autre solution n'est disponible, comme c'est le cas pour l'Hydrea, plusieurs stratégies existent :
- Les pouvoirs publics peuvent former une réserve stratégique. L'Etat va acheter le médicament à l'étranger, et les pharmacies peuvent ensuite commander le médicament via le SPF Santé publique. Dans le cas de l'Hydrea, cette procédure était possible depuis le 13 juillet. Cela permet aux patients d'obtenir le médicament gratuitement, comme d'habitude. Il est toutefois possible que l'emballage soit différent (langue étrangère) puisqu'il était au départ destiné à un autre pays.
- L'AFMPS peut autoriser l'entreprise à vendre en Belgique des lots destinés au départ à un autre pays. Elle doit alors adapter la notice aux langues du nouveau pays destinataire. Là encore, il n'y a aucune différence au niveau du prix pour le patient. Dans le cas de l'Hydrea, 7 000 boites destinées au Royaume-Uni ont été livrées et distribuées en Belgique. Elles étaient disponibles à partir du 28 juillet selon Pharmastatut, l'application de l'AFMPS qui publie des informations sur l'indisponibilité des médicaments.
- Enfin, les patients peuvent directement commander des boites de médicaments à l'étranger via leur pharmacien. C'est la solution la moins avantageuse puisqu'elle implique de payer des sommes plus élevées. Les pharmaciens commandent les médicaments via des grossistes internationaux qui se les procurent dans les pays où ils sont disponibles, et les prix pratiqués par ces grossistes ne sont pas réglementés. Même si le médicament est normalement remboursé, via cette méthode, le client devra payer le prix plein et parfois des frais de port. Ainsi, un patient belge a obtenu une boite de 100 comprimés vendue 26,03 € en Grèce. Il a toutefois dû débourser 96 €. En Belgique, une boite de 20 comprimés coûte 9,7 € à l'INAMI et est totalement gratuite pour le patient.
"Cette troisième option est la moins adaptée puisqu'elle entraine des coûts supplémentaires pour les patients. Pendant toute une période, elle était toutefois le seul moyen pour les patients belges de se procurer le médicament. Certains pharmaciens n'étaient pas au courant qu'Hydrea était accessible via la réserve stratégique, et continuaient de le commander à l'étranger. Un manque de communication dont les patients ont dû faire les frais", déplore Martine Van Hecke.
Depuis plusieurs années, Testachats exige qu'aucun coût supplémentaire ne soit supporté par les patients ou la sécurité sociale en cas de pénurie de médicaments, mais bien par les entreprises pharmaceutiques. L'INAMI et l'AFMPS collaborent depuis un moment pour parvenir à un arrêté royal en la matière, sans résultat concret pour l'instant.
La lutte de Testachats contre les pénuries de médicaments
"Chez Testachats, la lutte contre les pénuries de médicaments est l'une de nos priorités depuis plusieurs années. Nous tentons depuis des années de faire pression sur les instances, tant belges qu'européennes, pour qu'elles prennent conscience de la gravité de cette problématique et que des mesures concrètes soient prises pour réduire les pénuries de médicaments", détaille encore Martine Van Hecke.
Nos actions en la matière sont multiples :
- Nous consultons régulièrement les consommateurs pour connaitre la fréquence à laquelle ils sont confrontés à des pénuries de médicaments, et les répercussions tant financières que sur leur santé ;
- Au niveau belge, nous avons été conviés voilà quelques années à une séance du Parlement. Nous avons ainsi pu attirer l'attention sur nos positions en la matière et les points d'attention à avoir. Via l'AFMPS, nous essayons également de mettre à l'ordre du jour des discussions nos préoccupations et propositions en la matière ;
- Au niveau européen, la problématique est inscrite depuis plusieurs à l'agenda du BEUC (Bureau européen des unions de consommateurs). La Commission européenne a récemment mis sur la table une proposition de révision de la législation. Ensemble avec le BEUC, nous travaillons à l'améliorer au travers d'amendements.