Dossier

La pleine conscience est-elle efficace ?

24 février 2022
mindfulness

"Une formation de groupe à la pleine conscience peut se révéler aussi efficace que la psychothérapie", fait valoir la Dr. Katleen Van der Gucht. "Mais cela ne convient pas à tout le monde"

Katleen Van der Gucht est biologiste de formation. Il y a 16 ans, elle a participé pour la première fois à un entraînement de pleine conscience pendant 8 semaines. Cette expérience a été à ce point particulière qu’elle a décidé de dire adieu aux moisissures et autres micro-organismes, pour consacrer pleinement sa recherche à la pleine conscience. Katleen Van der Gucht est aujourd’hui senior researcher à la KU Leuven. Elle est également directrice du récent Leuven Mindfulness Centre.

L’expression pleine conscience fait le buzz. Mais qu’est-ce que cela signifie exactement?

K. Van der Gucht: «La définition que j’utilise est celle de Jon Kabat-Zinn. Ce biologiste a introduit lapleine conscience dans le monde médical occidental. Il décrit la pleine conscience comme un état de conscience dans lequel on porte son attention intentionnellement, sans jugement, sur ce qui se passe ici et maintenant. Cela peut être des sensations physiques, mais aussi des sons, des pensées et des émotions. Important : on ne porte pas de jugement de valeur sur ce qu’on observe. On se contente de voir ce qui se présente à soi avec curiosité et bienveillance, comme si on regardait de loin. On ne fuit pas les sensations désagréables, mais on ne se laisse pas non plus impressionner par elles. C’est en forgeant qu’on devient forgeron. La pleine conscience peut être développée par des exercices de méditation. C’est l’objectif des formations à la pleine conscience.»

Comment se déroulent ces formations ?

K. Van der Gucht: «La formation s’étale généralement sur 8 semaines, et se déroule le plus souvent en groupe. On se réunit une fois par semaine, mais on doit pratiquer chaque jour des exercices de méditation formelle, semi-formelle et informelle (voir les exemples dans l’encadré). Pendant les réunions, la méditation est collective, on apprend comment fonctionne l’esprit et on peut discuter de ses expériences lors des exercices. Chez soi, on peut s’exercer avec des enregistrements sonores. Les exercices formels sont ceux qui prennent le plus de temps. On est par exemple invité à s’asseoir pendant une demi-heure et à tourner son attention vers un point d’ancrage, comme sa respiration ou les sensations physiques dans un organe du corps. C’est un peu comme diriger le faisceau d’une lampe de poche. Si vos pensées s’égarent, ce qui est inévitable, prenez-en simplement conscience, et recommencez gentiment à vous concentrer, sans porter de jugement. Cela n’a rien de grave. Remarquer que son attention est détournée par de sombres pensées par exemple, est un élément important de la formation. Les exercices semi-formels servent à s’arrêter sur l’instant présent à un moment dans la journée. Ils ne durent que quelques minutes, tout au plus. Quand aux exercices informels, ils consistent à consacrer toute son attention à une activité banale. Par exemple, au lieu de prendre machinalement sa douche matinale, on est attentif aux sensations de l’eau sur la peau.»

douche

Quelle est la différence entre les diverses formations à la pleine conscience?

K. Van der Gucht: «La pleine conscience a fait son entrée dans le monde occidental avec la Réduction du stress basée sur la pleine conscience (MBSR). C’est le programme classique de pleine conscience. Les chercheurs travaillant avec des personnes souffrant de dépression y ont ajouté des éléments de la thérapie cognitivo-comportementale pour rendre le traitement mieux adapté aux patients en proie à une dépression. C’est ainsi qu’est née la Thérapie cognitive basée sur la pleine conscience (MBCT). Ce programme met davantage que la MBSR l’accent sur l’importance réciproque des pensées, des émotions, et des comportements. Ainsi, il existe encore des variantes spécialement développées à l’intention de personnes présentant des assuétudes, des troubles de l’alimentation, etc. La base est la même, mais avec des éléments ajoutés pour mieux correspondre au groupe-cible.»

A quel point l’efficacité de la formation à la pleine conscience est-elle démontrée ?

K. Van der Gucht: «La recherche sur la pleine conscience est encore assez récente. Des centaines d’études n’en montrent pas moins, déjà, que la pleine conscience fonctionne. Les preuves les plus solides sont à trouver dans l’utilisation de la pleine conscience dans un contexte clinique. Plusieurs études sérieuses démontrent l’efficacité de la pleine conscience contre les symptômes de la dépression, de l’anxiété et du stress, et pour améliorer la qualité de vie. Les effets sont comparables à ceux d’autres programmes «basés sur des preuves» comme la thérapie cognitivo-comportementale.»

«L’efficacité de la pleine conscience ne ressort d’ailleurs pas seulement d’études sur base de questionnaires. Elle est également étayée par des découvertes neurobiologiques, dans le cadre de recherches sur le cerveau. Cela dit, la formation à la pleine conscience ne convient pas à tout le monde, pas plus que la thérapie cognitivo-comportementale ne convient à tout le monde. Certaines personnes n’acceptent pas de méditer aussi souvent. C’est leur droit. La motivation est importante. C’est classique pour toute intervention qui suppose des efforts des participants. C’est pourquoi il est important d’avoir plusieurs options.»

Certaines études n’ont pas mis d’effets positifs en évidence. Comment l’expliquez-vous ?

K. Van der Gucht: «Pour en avoir le cœur net, il faudrait pouvoir comparer les études en détail. Mais c’est souvent difficile : le contenu spécifique du programme utilisé est encore trop fréquemment protégé par un copyright. C’est dommage, car dans ce cas on ne sait pas ce qui était demandé aux participants. Quels exercices devaient-ils effectuer ? Quelle était leur durée ? Etc. Nous plaidons pour une «open science»: tous les détails de l’étude et de l’intervention devraient être disponibles. Car, en principe, chaque détail peut avoir une influence sur l’efficacité. Certains chercheurs ne sont peut-être pas tout à fait neutres, parce qu’ils pratiquent eux-mêmes la pleine conscience. La moitié des membres de notre équipe pratique la pleine conscience, et l’autre pas. C’est une saine combinaison, qui garantit le contrôle nécessaire. Nous avons d’ailleurs déjà publié des études ne concluant pas à des effets. Mais il est souvent plus difficile d’obtenir la publication d’études de ce type. Les revues scientifiques sont généralement plus intéressées par les études où les chercheurs mettent bel et bien un effet en évidence.»

Une vaste étude a conclu que 8 % des participants souffraient davantage d’anxiété et de dépression.

K. Van der Gucht: «Un tel chiffre n’a rien d’inquiétant. Ces 8 % sont comparables à la fréquence des effets secondaires lors d’autres interventions psychologiques. Mais cela peut se produire, effectivement. Raison de plus pour bien être encadré. Tournez-vous vers un formateur certifié et bien formé lui-même. Très important également : si vous souffrez de sérieux problèmes psychologiques, discutez d’abord avec un psychologue ou un médecin. Et n’exagérez pas. Il n’est pas judicieux de s’inscrire sans aucune expérience à une retraite silencieuse de plusieurs jours. La méditation, c’est comme la course de fond : mieux vaut y aller progressivement.»

Pour terminer: tout le monde peut s’intituler formateur à la pleine conscience. Comment en trouver un bon ?

K. Van der Gucht: «Vous pouvez vous adresser à l’Association belge francophone de pleine conscience (www.abfm.be). Cette organisation réunit des personnes actives dans la pleine conscience. Elle fait partie de l’organisation européenne European Associations for Mindfulness (EAMBA), ce qui est une bonne référence. L’organisation Emergences (www.emergences.org) constitue un autre bon point de départ. Les formateurs désireux de faire partie de ces organisations doivent avoir eux-mêmes suivi une formation sérieuse. En outre, les membres sont en principe informés en continu des derniers développements scientifiques, ce qui est très important dans ce contexte.»

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