Enfants en surpoids ou obèses: quel rôle jouent la boîte à tartines et les collations?

Une année scolaire compte, en moyenne, 180 jours. Soit, chaque année, 180 boîtes à tartines dévorées par les enfants pour leur repas de midi, auxquelles il faut ajouter les collations, soit quelque 360 « 10 heures » et « 4 heures » par an. Tous ces apports ne sont pas négligeables par rapport aux besoins nutritionnels d'un enfant en pleine croissance.
Surpoids et obésité chez l'enfant
Le Dr Teodora Voicu est pédiatre, spécialisée en Nutrition clinique et Surpoids/Obésité Enfants-Adolescents. Chaque jour, avec ses collègues diététicienne et psychologue, elle voit passer dans son cabinet de nombreux enfants en âge scolaire qui sont déjà en souffrance par rapport à leur poids. Elle nous en livre les raisons.
L'équipe de la consultation spécialisée
à la Clinique St-Pierre d'Ottignies.
- Dans votre pratique au quotidien, quel degré d'excès de poids ont les enfants qui se présentent à la Consultation multidisciplinaire pédiatrique surpoids/obésité de la Clinique Saint-Pierre d'Ottignies ?
« Cela dépend, bien sûr, du moment où les parents en font la démarche. Mais nous voyons déjà des déséquilibres métaboliques (pré-diabète, excès de cholestérol) dans des prises de sang d'enfants âgés de 10 ans, et parfois des obésités morbides bien installées.
Un déséquilibre alimentaire dans 98 % des cas
« Les parents vont chez l'endocrinologue en pensant que leur enfant souffre d'un problème médical. Mais il s'agit seulement, dans la majorité des cas, d'un problème de déséquilibre alimentaire. Ces kilos en trop peuvent sauver l'enfant car ils rendent le déséquilibre visible. D'autres ont un poids a priori normal et consomment pourtant autant de malbouffe. Mais ça ne se voit pas...
« Seuls 1 à 2 % des cas de surpoids chez l'enfant ont une réelle cause organique, tout le reste est dû à un excès d'apports et à un manque d'activité physique. Et l'un entraîne l'autre, c'est un cercle vicieux : l'enfant qui souffre de kilos en trop est plus vite essoufflé et il lui est plus difficile de bouger. Donc, il va moins s'activer...
Quand s'inquiéter du poids de l'enfant ?
Les écrans et le marketing publicitaire, très néfastes
« Manger doit se faire dans le calme et sans écran pour pouvoir se connecter réellement à la nourriture, prendre le temps de mâcher et laisser la sensation de satiété s'installer, ce qui demande environ 15 minutes. Si l'on est occupé à autre chose en même temps que l'on mange, on peut très bien engloutir trois assiettes sur ces quinze minutes, pour aboutir au final au même résultat de satiété que si l'on avait mangé une seule assiette en toute conscience. Mais les apports énergétiques seront trois fois plus importants...
- Quel âge ont généralement les enfants qui consultent ?
« Nous voyons des enfants dès l'âge de 2 ans, 2 ans et demi, et jusqu'à 18 ans. Nous avons cependant moins de petits patients avant l'âge de 9 ans. Les soucis commencent généralement à l'école primaire. En classes maternelles, on est encore fort attentif, on surveille les repas de l'enfant. C'est plus difficile quand il acquiert davantage de liberté. On peut lui proposer un repas équilibré à la cantine scolaire en primaire, s'il n'a pas l'habitude de manger des légumes à la maison, il les laissera aussi dans l'assiette à l'école.
L'enfant refuse de manger ou joue avec la nourriture
- Quelle attitude adopter ?
« Un enfant a besoin de savoir que ce qu'on lui donne à manger est sans danger pour lui. Cela passe par l'éducation à la maison. Quand il devient autonome pour manger, l'enfant connaît généralement une période dite de « néophobie alimentaire » (entre 2 et 10 ans) où il va naturellement s'opposer. Il a besoin de toucher l'aliment, d'en sentir la texture avant de le porter en bouche. C'est sa façon d'apprivoiser la nouveauté, de s'approprier le geste de manger, d'exprimer ses goûts et d'être acteur du repas. Même si ce n'est pas très propre... Si on lui répète sans cesse : « Ne touche pas », « Tu vas te salir », etc, l'enfant risque de penser que ce n'est pas bon pour lui et de devenir difficile.
Un passage obligé pour apprivoiser la nourriture.
« Une démarche parentale inadéquate peut donc conditionner le rapport à l'alimentation et engendrer des troubles alimentaires plus tard. C'est valable dans nos paroles, mais aussi dans nos actes, à travers le modèle que nous renvoyons : si ses parents ne mangent jamais de légumes, pourquoi l'enfant devrait-il manger ceux qui sont dans son assiette ?
- Les repas de midi et les collations non saines jouent un rôle important dans ces problèmes de poids ?
« Une journée équilibrée commence dès le matin, avec un petit déjeuner sain. Ce n'est pas le cas si l'enfant est devant la TV dès son lever, puis part à l'école sans manger. Il aura très faim à midi et risque de manger davantage, voire trop.
« A la consultation, nous insistons aussi sur le fait qu'un seul repas complet par jour suffit. Cela peut être à la cantine, si les repas chauds y sont équilibrés. Et le repas secondaire ne doit pas contenir de protéines car on sait qu'en excès, elles peuvent être à l'origine d'une obésité plus tard. On a tendance à surestimer la quantité de protéines dont un enfant a besoin, on lui ajoute par exemple des yaourts. A contrario, certains enfants se retrouvent parfois sans produit laitier du tout, ils n'ont que des jus...
Les aliments riches en protéines
Des légumes dans la boîte à tartines
« S'il n'a pas de légumes à disposition, l'enfant va se tourner vers la viande ou les féculents pour remplir son estomac et calmer sa faim. En plus, c'est plus facile à manger quand c'est mou, sucré ou gras. Une habitude qui peut vite s'installer dès que l'enfant est petit. Mâcher - une pomme, par exemple - est ennuyeux car ça demande un effort... Or, la texture est importante, et les fibres aussi. Et l'alimentation ne doit pas être trop liquide pour éviter que l'enfant n'ait à nouveau vite faim.
Quant aux collations, elles ne doivent pas être des calories 'vides'. Hélas, ces calories vides sont souvent meilleur marché. Le goûter doit être équilibré, je préfère encore une petite tartine de pain complet avec de la pâte à tartiner aux noisettes (une cuiller à café) à un gâteau industriel préemballé, gras et sucré.
Comment choisir une collation saine ?
- Et chez les plus grands ?
« A l'adolescence, les besoins augmentent, les jeunes peuvent manger vraiment beaucoup, surtout les garçons. La composition du repas à ce stade de la vie peut accélérer la prise de poids. De même que les écrans, à nouveau...
Changer les habitudes alimentaires plutôt qu'interdire
- Faut-il interdire certains aliments ?
« L'école peut veiller et aider, par exemple en demandant de ne pas apporter de sucreries ni de sodas. Mais nous, à la Clinique, nous n'interdisons aucun aliment, pour laisser le goût de l'enfance. Nous ne faisons pas de « régimes », non plus : en fonction de l'âge de l'enfant, nous stabilisons son poids plutôt que de lui en faire perdre, et il va compenser en grandissant.
- Comment intervenez-vous ?
« Nous agissons sur les déséquilibres alimentaires, les repas trop fréquents et les quantités. Nous sommes parfois étonnés quand nous voyons une photo de la boîte à tartines ! Nous demandons aux parents si eux, ils mangeraient autant... Ils nous répondent, de bonne foi, qu'ils ont peur que leur enfant ait faim. Mais un enfant qui dispose de 4 repas équilibrés par jour n'a pas envie d'aller chercher ailleurs ou plus... S'il dit qu'il a faim, c'est peut être un souci de glycémie. Par exemple, parce qu'il mange sucré à midi. Des parents me disent: « Mon enfant ne mange pas s'il n'a pas du sucré, sa boîte revient avec les légumes... ». Alors ils démissionnent et mettent du sucré... Comment faire manger des légumes ? En mettant moins de pain dans la boîte à tartines, l'enfant mangera ses légumes, par faim.
Pas de régime chez les enfants
« Certains parents ont déjà parfois mis leur enfant au régime avant de nous consulter... Ils peuvent avoir des idées bien arrêtées, suivent parfois eux-mêmes des régimes à la mode et il est difficile pour nous de changer les mentalités. En général, les parents sont attentifs à l'alimentation de leurs enfants, mais aujourd'hui, les messages sont nombreux et contradictoires. Tout le monde est 'expert'. Certains parents bannissent, par exemple, les féculents « parce que ça fait grossir ». Ca peut mener à des troubles comme de l'anorexie plus tard. Bien manger n'est pas compliqué, mais ce n'est pas simple non plus. Cela demande d'être bien informé, d'être disponible et de savoir (un peu) cuisiner.
Vers notre plateforme « une boîte à tartines équilibrée »